~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
Le portail de l'actualité vietnamienne

Année :     [2007]      [2006]      [2005]      [2004]      [2003]      [2002]      [2001]      [2000]      [1999]      [1998]      [1997]

Philip Jones Griffiths, photographe britannique

Des images de Philip Jones Griffiths, on dit souvent qu'elles ont changé le cours de la guerre du Vietnam. Ce qui est certain, c'est que son livre Vietnam Inc. (1971) a fait vaciller l'opinion en exposant au grand jour toute la crasse et la cruauté du conflit. Devenu un classique, réédité à l'identique en 2001, l'ouvrage reste à ce jour le livre de photographie majeur consacré à cette guerre. Philip Jones Griffiths, membre de l'agence Magnum, est mort d'un cancer à 72 ans le 18 mars.

Ce Gallois têtu et insoumis, né dans le petit village de Rhuddlan en 1936, n'avait pas étudié la photographie mais la pharmacie - une idée de ses parents, encouragés par sa propension à fabriquer et à faire sauter des bombes artisanales. Le jeune Philip Jones Griffiths fait ses premiers pas de photojournaliste au Manchester Guardian alors qu'il travaille de nuit dans une officine de Piccadilly Circus, à Londres, fréquentée par les junkies et les prostituées.

En 1966, après avoir couvert la guerre d'Algérie, le photographe rejoint la célèbre agence Magnum et part pour le Vietnam. Il pense y rester deux mois, au final il s'y enracine trois ans. "Toute la presse était au début en faveur des Américains à part quelques Français et un Gallois, racontait le photographe au Monde en 2001. Les militaires américains étaient si fiers qu'ils ne pouvaient imaginer qu'un journaliste perçoive de façon négative leur attitude." Ses images du conflit, trop critiques, se vendent mal dans la presse ? Qu'importe, il en fera un livre. "La guerre n'était pas finie et j'affirmais que les Américains allaient la perdre. C'est un livre engagé. J'ai vu trop d'horreurs pour rendre un travail distancié." Philip Jones Griffiths fait douter l'Amérique en montrant la douleur des familles vietnamiennes décimées sans raison, mais aussi ses GI si jeunes en proie au désespoir. Des légendes très bien écrites, d'une précision cruelle, renforcent la démonstration.

De ces images terribles, Henri Cartier-Bresson dira : "Personne, depuis Goya, n'a peint la guerre comme Philip Jones Griffiths." Et pourtant, le Gallois ne se complaît jamais dans l'insoutenable. "Je ne cherche pas à émouvoir avec des photos "gore". Je veux que le lecteur jamais ne ferme les yeux", disait-il. Les images de guerre de Jones Griffiths vont bien au-delà des combats et des morts. Elles couvrent aussi les conséquences économiques et culturelles du conflit : on y voit la prostitution, les enfants lavés à la mode hygiéniste américaine, les magazines et les cigarettes offerts par des soldats... D'où le titre du livre, Vietnam Inc. : "C'était ma façon de montrer que les Américains, au-delà des combats, voulaient imposer au monde leur système de valeurs."

En 1971, en moins de trois semaines, les 40 000 exemplaires du livre sont vendus. L'émoi est tel que le président sud-vietnamien de l'époque, Nguyên Van Thiêu, interdit au photographe de jamais remettre un pied dans le pays. Il y retournera pourtant, entre deux reportages, pendant des années. En 2003, il publie le livre Agent Orange après une enquête de vingt ans consacrée aux ravages des herbicides utilisés par l'armée américaine pour détruire la végétation. Des années plus tard, les enfants naissent malformés, handicapés. Tandis que les soldats américains atteints par la dioxine sont indemnisés, les Vietnamiens font face seuls aux conséquences de la guerre.

Même si son travail sur le Vietnam est le plus connu, Philip Jones Griffiths a parcouru près de 120 pays pour des magazines comme Life. Intransigeant autant que passionné, Philip Jones Griffiths pensait que le photographe devait être un "anarchiste". Une conviction qu'il a défendue à la tête de l'agence Magnum, dont il a été président pendant cinq ans dans les années 1980. Il y a défendu un photojournalisme pur et dur et n'a jamais caché sa réticence devant l'ouverture récente de l'agence au monde de l'art. Très critique envers le libéralisme, le photographe voyait dans les guerres menées en Irak et en Afghanistan un prétexte pour "conquérir de nouveaux consommateurs". Refusant de se plier aux règles de la "société bourgeoise", le photographe ne s'est jamais marié.

Le Monde - 24 Mars 2008