~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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Viêtnam : quand l’humanitaire se fait piéger

Ouvert en 2002, le centre Dialasie, destiné à soigner les patients viêtnamiens souffrant d’insuffisance rénale, a été la victime des autorités de Saigon, plus occupées par la spéculation immobilière que par l’accès aux soins de la population. Le Dr Jean-Marc Dueymes, à l’origine du projet, témoigne.

Tout est parti d’un simple constat pour le néphrologue Jean-Marc Dueymes alors qu’il participe à une mission humanitaire au Viêtnam en 1999 : plus de 12 000 patients meurent chaque année au Viêtnam, en raison d’une insuffisance rénale, et faute d’offres de soins.

Une situation intolérable à ses yeux mais, à la différence des "french doctors" qui ont popularisé ces aides médicales aux pays en développement, il n’est pas question ici de traiter une situation d’urgence. Le but du projet Dialasie est de pouvoir installer une structure médicale pérenne à Saigon, au Viêtnam, afin de traiter les malades souffrant de problèmes rénaux, ceci en coopération avec le personnel médical local.

Pour ce faire, en 2002, des médecins et des infirmières viêtnamiens viennent suivre une formation en France. Une infirmière et un médecin sont accueillis pendant 3 mois au Centre de néphrologie et de dialyse d’Armorique (CNDA). Ce dernier se rend également au service de néphrologie de la Cavale Blanche puis à l’AUB (Centre de formation et de repli à la dialyse). Parallèlement, 4 infirmières suivent une formation dans le service de néphrologie du Pr Jean Conté à l’hôpital Purpan, à Toulouse. Des infirmières françaises, travaillant au CNDA et au Centre d’hémodialyse de Châteauroux se sont ensuite rendues au Viêtnam, après l’ouverture du centre, pour continuer la formation du personnel local.

Pour Erwan Gourcuff, qui a eu l’occasion de travailler pour Dialasie, en juillet et août 2003 puis de novembre 2003 à novembre 2004, "étant moi-même patient, traité à Dialasie durant mon séjour, j’ai été impressionné par la qualité des soins dispensés, supérieurs à certains centres de dialyse français. Les protocoles étaient ceux utilisés en France par le Dr Dueymes à Brest". Mais la particularité du projet est également de permettre, via la télémédecine (téléassistance, télédiagnostic, partage de ressources), un suivi continu des patients et du personnel depuis la France. Pour le Dr Jean-Marc Dueymes "partager les outils, les connaissances, le savoir-faire, c’était non seulement possible mais surtout le meilleur moyen de diminuer les coûts pour faciliter l’accès aux soins".

Le projet Dialasie vise non seulement à fournir au Viêtnam les outils médicaux pour traiter les malades mais également à rendre possible l’accès aux soins au plus grand nombre. L’établissement bénéficie alors d’un conventionnement avec l’Assurance maladie viêtnamienne : tous les patients sont, comme en France, pris en charge, la dialyse étant facturée à 30 $ (contre plus de 300 € en France).

Le pouvoir étant toujours aux mains du Parti communiste viêtnamien, il est difficile pour des étrangers d’investir dans ce pays, même si le Viêtnam s’ouvre progressivement depuis les années 90. Il faut donc pour Dialasie faire de longues démarches pour obtenir un terrain et une licence d’investissement. Le terrain, situé en centre-ville, est attribué par l’État en décembre 2000 et la licence accordée en 2002 après 2 ans de procédure, donnant à son possesseur un droit d’usage de 25 ans sur ce terrain. La propriété dudit terrain restant celle du peuple viêtnamien.

L’ouverture de l’établissement a lieu en septembre 2002. Et l’hôpital doit faire face à une croissance constante des demandes "En 2005, nous avions dépassé les 25 000 séances annuelles de dialyse, soit 170 patients viêtnamiens maintenus en vie par dialyse, en sachant que nous avions une croissance de 45 % par an" explique le Dr Jean-Marc Dueymes. Dialasie est considéré à l’époque comme l’un des meilleurs centres de dialyse en Asie par les patients asiatiques de passage, les conditions de traitements étant identiques à celles d’un centre en France.

Cependant le terrain où est installé l’hôpital, et laissé jusqu’ici à l’abandon, aiguise les appétits des promoteurs. En particulier celui de la Saigon coop. qui est en charge de la construction de l’hôpital et s’occupe de louer les locaux à Dialasie, à l’image d’une société civile immobilière en France. Une société dirigée par Nguyen Ngoc Hoa, l’ancien directeur de la police secrète du Comité populaire de la ville, et dont la présidente du conseil d’administration, Mme Nguyen Thi Nghia, est devenue depuis députée à l’Assemblée nationale.

Pour obtenir le droit d’usage (l’équivalent du droit de propriété du sol en France), il faut que l’État Viêtnamien attribue ce terrain, qui lui appartient, à une société ayant une autorisation d’exploitation commerciale. Ce qui est fait avec l’arrivée de Dialasie. Ce terrain de 1300 m2 ne vaut rien lorsqu’il est attribué, et la taxe foncière ne s’élève qu’à 10 dollars le m2. Détourner l’usage de ce terrain pour y faire construire des bureaux, puis les louer, représente alors une plus-value énorme qui pèse peu face aux considérations médicales. En 2006, le droit d’usage de ce terrain, qui possède une valeur marchande, est évalué à 3,6 millions de dollars.

Reste cependant pour la Saigon coop. à récupérer ce droit d’usage. Et le moyen le plus simple est de faire disparaître l’investisseur étranger. Ce qu’a déjà planifié la société dès le début. Le droit d’usage devait être accordé à Dialasie pour 25 ans, ce que confirme le service du cadastre, mais le Comité populaire de Saigon a remis en fait le terrain, et donc son permis de construire, à la Saigon Coop. "Cette manipulation s’est bien entendu faite à notre insu, en 24 h, le 1er août 2001. Nous nous sommes aperçus de la supercherie quand le service des taxes du Comité populaire nous a demandé de payer les taxes locatives en octobre 2005" explique le Dr Jean-Marc Dueymes.

Après l’ouverture de l’hôpital, qui emploie alors 80 personnes, elle n’hésite pas à exercer des pressions directes sur le Dr Jean-Marc Dueymes et son fils Cédric, responsable financier et administratif de la structure. Menaces verbales ou écrites, articles diffamatoires dans la presse locale et nationale, y compris des tentatives de corruption répétées sur l’avocat du Dr Jean-Marc Dueymes.

"Les pressions ont dans un premier temps commencé à s’exercer sur le petit personnel, puis progressivement sur la direction, enfin nos malades et nos fournisseurs pharmaceutiques, explique Cédric Dueymes. De petites rumeurs aux intimidations sur les employés et les malades, elles ont ensuite été propagées via des articles dans les journaux locaux et nationaux, des lettres aux autorités sanitaires et aux instances judiciaires jusqu’à atteindre le ministère du Plan ainsi que le ministère de la Santé."

"Lorsque j’ai voulu prendre l’avion en août 2005 pour me rendre à un rendez-vous d’affaires à Bangkok, pour rencontrer des investisseurs potentiels, je me suis retrouvé bloqué à l’immigration et interrogé pendant 2 heures par la police de l’aéroport, raconte Cédric Dueymes. Il m’a fallu 5 mois pour faire annuler cette interdiction, ceci sans l’aide des autorités françaises."

"J’étais moi-même interdit de séjour, ajoute le Dr Jean-Marc Dueymes. Une interdiction de sortie qui ne repose sur aucune décision, ni officielle ni officieuse. C’est de la simple corruption de fonctionnaires en poste dans les aéroports. Mes dernières sorties du sol viêtnamien ont été faites sous protection de l’ambassade de France en janvier 2006 puis du consulat début mai." Face à ces pressions, accompagnées de plusieurs menaces de mort, le Dr Jean-Marc Dueymes prend contact avec les diplomates français, qui lui conseillent d’éviter tout accident ou résistance.

La Saigon coop., qui est une émanation du Comité populaire de Saigon et donc sous la responsabilité de l’État, agit en toute illégalité mais le gouvernement viêtnamien est incapable de se faire obéir. L’aboutissement de ces méthodes est l’expulsion, à la fin du mois de mai 2006, du personnel et des patients de l’hôpital. "Mon fils et le médecin-chef de Dialasie, le docteur Anh Hong, m’ont appelé pour me dire que la direction de la Santé nous donnait 3 jours pour partir. Il n’y avait pourtant aucune décision officielle à l’appui, mais le risque était trop grand pour nos malades et nous-mêmes. J’ai alors donné mon autorisation pour quitter les lieux."

"Nos malades ont reçu des lettres de menaces et de désinformation de la part des autorités viêtnamiennes locales et du propriétaire les incitant à changer d’hôpital, alors que les centres de dialyse de toute la métropole étaient déjà saturés (5 patients par jour par générateur de dialyse, la moyenne en France étant 2)", complète son fils. "Nos fournisseurs ont été convoqués par les autorités locales pour leur demander de stopper leurs livraisons. Enfin notre contrat avec l’Assurance maladie a finalement été annulé unilatéralement par la tutelle de santé locale, sous la demande ferme du président du Comité populaire d’Ho Chi Minh Ville, qui est un ami personnel de la présidente du conseil d’administration de notre propriétaire viêtnamien. Cette résiliation a été en fait le coup de grâce qui nous a poussé à fermer les portes de l’hôpital, étant donné que 100 % de nos patients en bénéficiaient."

Les 70 salariés viêtnamiens sont alors licenciés et les 170 patients de l’établissement placés dans des hôpitaux saturés, ne pouvant ainsi pas leur prodiguer les soins nécessaires. "Une commission devait descendre d’Hanoi en juin pour résoudre nos problèmes. Mais nous avons été tués avant, victimes de la fièvre spéculative qui gagne les pays émergents" explique avec regret J-M Dueymes.

De retour en France, le Dr Jean-Marc Dueymes ne se résout pourtant pas à voir son projet de coopération réduit à néant. "Dans notre cas, l’État viêtnamien était responsable de la bonne application de la licence d’investissement accordée à Dialasie" explique-t-il. Une plainte pour expropriation a été déposée auprès de l’ambassadeur du Viêtnam en France, suivant une convention signée entre les 2 pays en 1994 et qui prévoit l’expropriation d’un investisseur étranger, le 15 septembre 2006. Au terme de 6 mois, les deux parties, l’État viêtnamien et Dialasie, doivent désigner un arbitre international. Le secrétaire des Nations-Unies désignant le troisième. La commission d’arbitrage siégeant, en principe, à la Haye. "Dialasie a été indirectement contactée par le cabinet du Premier Ministre viêtnamien, mais aucune suite n’a été depuis donnée" regrette le Dr Jean-Marc Dueymes. "La poursuite du projet d’aide médicale reste notre objectif principal, les besoins de la population sont énormes, mais cela doit avant tout se faire dans des conditions de sécurité satisfaisantes." Si ces conditions ne sont pas réunies, Dialasie demandera à l’État viêtnamien de respecter ses engagements en restituant ses investissements. Mettant un terme, malgré elle, à un projet essentiel de santé publique.

[J’ai contacté l’ambassade de France au Viêtnam ainsi que l’ambassade du Viêtnam en France, sans avoir de réponse en retour concernant le projet Dialasie.]

Encadré 1
Les besoins criants de la population viêtnamienne en matière de santé ont pour conséquence de développer un véritable trafic d’organes. Trafic dont ont été témoins les membres de Dialasie. "Entre 2004 et 2005, nous avons eu 25 patients qui sont partis en Chine pour se faire greffer un rein, le plus souvent prélevé sur un condamné à mort" raconte le Dr Jean-Marc Dueymes. Un véritable réseau s’est mis en place à partir de Canton pour recruter des patients viêtnamiens en dialyse. Un "voyage" facturé entre 10 et 15 000 dollars.

Encadré 2
Dans le classement 2006 des pays les moins corrompus, par l’ONG Transparency international, le Viêtnam se retrouve en fin de classement, à la 111e place sur 160.

Par Gwenboul - Agora Vox - 31 Août 2007