Au Vietnam, le pouvoir continue de museler toute opposition
Depuis novembre dernier, une vingtaine d'opposants ont été arrêtés ou emprisonnés. La stratégie du régime est simple: réduire au silence l'opposition avant qu'elle ne se manifeste.
Depuis plusieurs semaines, des moines bouddhistes khmers kroms se plaignent de persécutions. Quelques-uns de ces religieux, d'ethnie khmère mais qui vivent dans le Kampuchea Krom, une région du sud du Vietnam, n'ont plus le droit de quitter leur pagode pour demander l'aumône (d'ordinaire, les bonzes, dans leur robe safran caractéristique, sillonnent les rues de leur quartier pour recueillir les offrandes des fidèles). D'autres moines affirment qu'on les oblige à porter les cheveux longs, à élever des animaux, à les abattre, ce qui est contraire à leur doctrine. La police les empêche aussi de se rassembler pour des fêtes religieuses. Tracassés, les moines khmers kroms ont crû bon de se plaindre publiquement. A plusieurs reprises, ils ont manifesté contre ce qu'ils estiment être une violation de la liberté religieuse, une liberté normalement garantie par la Constitution du Vietnam. Mais leur protestation n'a entraîné que plus de férocité. Depuis février dernier, cinq bonzes ont ainsi été condamnés à des peines de prison ferme, jusqu'à quatre ans, pour «trouble de l'ordre social.» Seize autres bonzes ont été défroqués.
Ly Nau est l'un d'eux. Ce chef de pagode prévoyait de manifester le 20 avril dernier pour soutenir ses frères dont le temple était encerclé par la police. Mais il en a été empêché la veille. «Les policiers craignaient que je ne participe à ce mouvement. J'ai négocié avec eux de 9h à 11h30. Je leur ai demandé de me faire simple moine. Ils ont refusé. Beaucoup de fidèles étaient venus à la pagode pour l'événement. Certains pleuraient sous des arbres. Mais personne n'a osé broncher car les policiers étaient nombreux», explique-t-il calmement.
Sous la contrainte, il a reconnu par écrit sa participation à une manifestation en février. S'il n'avait pas paraphé la lettre, on l'aurait jeté en prison, assure-t-il. Il a dû payer une amende de presque 100 dollars américains et quitter la robe safran. Un flic posté à l'arrière de son habitation le surveillait ensuite jour et nuit. Il a réussi à lui échapper habilement avec l'aide d'un compagnon cambodgien. Tous deux se sont enfuis à moto jusqu'à la frontière qu'ils ont franchie clandestinement. Ly Nau s'est réfugié dans une pagode de la banlieue de Phnom Penh, la capitale du Cambodge, où il a repris le froc avec d'autres moines khmers kroms, «pour la vie».
Hanoi mène la vie dure à ces religieux car elle redoute toute remise en cause de son pouvoir. Les moines khmers kroms, eux, manifestent en groupe. Ils défendent des idées. Ils réclament la liberté de religion. Ils disposent d'une hiérarchie. Cette organisation est donc considérée comme dangereuse par les autorités, même si elle n'exprime que des revendications pacifiques. Les opposants considèrent que le pouvoir développe une forme de paranoïa en se crispant de la sorte dès la moindre critique.
Hanoi concentre également ses attaques sur les moines car ils représentent la culture khmère krom. Ils enseignent le bouddhisme. Ils font vivre les traditions locales. En empêchant leur rayonnement culturel, les autorités tendent à minorer leur position centrale dans la société. «Si nous perdons nos bonzes, nous perdons notre identité, et les habitants seront alors plus facilement soumis au pouvoir», craint le Vénérable Yoeun Sin.
Pour ce directeur de l'Association des bonzes du Kampuchea Krom, le gouvernement mène une véritable politique de vietnamisation des Khmers Kroms pour les réduire au silence.
A l'approche des élections législatives du 20 mai dernier, le pouvoir redoutait encore plus la diffusion d'idées réformatrices. Les opposants les plus diserts ont été arrêtés. Le prêtre Nguyen Van Ly, qui avait déjà passé quatorze années derrière les barreaux, a de nouveau été condamné à huit ans de prison ferme au terme d'un procès d'une demi-journée seulement. La cour lui a reproché d'avoir répondu à des journalistes étrangers, d'avoir constitué un mouvement politique d'opposition et d'avoir mis sur pied une publication critique. Des diplomates et des journalistes ont été autorisés à suivre sa comparution. Les autorités comptaient sur la médiatisation de ce procès pour intimider d'autres dissidents.
Cette vague de répression n'est pas une surprise. Le pouvoir communiste a toujours considéré d'un mauvais oeil les religions et les organisations politiques libres. Le seul fait qu'elles soient une structure différente du parti unique implique leur contrôle étroit ou leur destruction. Hanoi ne peut supporter de ne pas maîtriser tous ses sujets. La récente accentuation de cette oppression inquiète.
L'organisation de défense des droits de l'homme Human Rights Watch parle de l'une des pires répressions de ces vingt dernières années. Les résistants ne peuvent compter que sur la médiatisation de leur action pour interpeller au-delà des frontières et espérer des pressions étrangères. I
Par Richard Reichner - Le Courrier (.ch) - 12 juillet 2007
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