Khmers Kroms, apatrides du Cambodge
GENEVE - Les Vietnamiens les traitent de perturbateurs politiques et les Cambodgiens d’espions. Habitants de l’ex-Cochinchine, les Khmers Kroms ne savent plus à quels bouddhas se vouer pour être reconnus comme peuple autochtone. Profitant de la sixième session du Conseil des droits de l’homme, ils sont venus rencontrer Louise Arbour à Genève
Ils sont profondément bouddhistes et farouchement anti-communistes. Ils se sentent entièrement cambodgiens, ils en revendiquent l’identité, la langue et la religion. Or - et c’est bien là tout leur drame - ils vivent dans l’ex-Cochinchine, le long du delta du Mékong, en territoire vietnamien, un pays qui fonctionne encore selon la doctrine marxiste-léniniste, et qui entretient des relations des plus ambivalentes avec son voisin le Kampuchea Les Khmers Kroms connaissent une situation dramatique depuis des décennies.
Considérés comme de dangereux agitateurs politiques par le gouvernement de Hanoi, ils sont rejetés par leurs frères cambodgiens qui voient en eux des espions potentiels envoyés par le voisin officiellement ami, en réalité honni. Pour se défendre, ils se sont organisés en une Fédération devenue membre en 2001 de l’UNPO (Unrepresented Nations and Peoples Organisations - Organisation des nations et peuples non représentés). Lors de cette sixième session du Conseil des droits de l’homme, ils sont venus plaider leur cause auprès de la Haut-Commissaire Louise Arbour. Fin septembre, près de 400 Khmers de toute l’Europe ont formé une chaîne humaine devant le Haut Commissariat aux droits de l’homme à Genève.
Vivre en paix
"Nous demandons juste de vivre en paix sur nos terres, de pouvoir parler le khmer, pratiquer notre bouddhisme théravada, circuler librement entre le Cambodge et le Vietnam, enseigner notre histoire dans nos écoles. Et nous voulons que cessent les persécutions contre notre peuple." Le regard doux, l’air affable, Vien Thach, vice-président de la Fédération des Khmers du Kampuchea Krom, vit à Paris, mais il retourne régulièrement au Cambodge et au Vietnam pour récolter des informations auprès des siens. Selon la Fédération, ils seraient huit millions de Khmers Kroms au Vietnam contre un peu plus d’un million au Cambodge. Profondément attachés à leur culture d’origine, ils dénoncent la politique de vietnamisation pratiquée par Hanoi.
Assis dans le vaste hall de l’ONU, Vien Thach énumère dans le désordre la liste interminable d’exactions et de tracasseries que subissent ses compatriotes : l’intrusion des autorités vietnamiennes dans l’organisation monacale et dans la vie quotidienne des Khmers Kroms, les arrestations arbitraires, les disparitions forcées, les déportations dans des camps de rééducation... En février dernier, un bonze a été trouvé égorgé dans sa cellule parce qu’il avait fait partie d’une manifestation pacifique contre l’ambassade du Vietnam au Cambodge... Et Vien Thach de signaler au passage la main mise du Vietnam sur l’actuel gouvernement khmer.
Incarcéré ou disparu ?
Le cas du Vénérable Tim Sa korn - un bonze khmer krom - résume à elle seule les situations abracadabrantes dans lesquelles se retrouve cette communauté rejetée de part et d’autre. Le 30 juin, le Vénérable Tim Sa Korn a été défroqué par son supérieur dans la pagode de Phnom Den, près de la capitale cambodgienne. Il a ensuite été expulsé par le Cambodge (pays dont il est ressortissant) vers le Vietnam. Motif : il aurait mené des activités qui menacent "l’amitié khméro-vietnamienne." Incarcéré au Vietnam, il a ensuite été porté disparu. Sa famille est toujours sans nouvelles de lui. D’autres moines et défenseurs des libertés sont ainsi abusivement emprisonnés, au mépris de tout respect de leurs droits fondamentaux ou de leur nationalité.
Quant aux gouvernements respectifs, ils se renvoient la balle, à coups de déclarations contradictoires. Ainsi, après avoir accusé Tim Sa Korn de "menacer l’amitié khméro-vietnamienne", le Ministère de l’information cambodgien a changé de version : le Vénérable Tim Sa Korn aurait entretenu des relations sexuelles avec des femmes, raison pour laquelle il aurait été défroqué et ... expulsé vers le Vietnam. Une autre version veut encore qu’il ait tabassé d’autres bonzes... ou encore qu’il soit en réalité un chrétien évangélique déguisé en bonze, ayant "forniqué". Cela afin de donner une image dépravée du bouddhisme et inciter les fidèles à se convertir au christianisme, religion apparaissant alors plus pure...
En attendant, le Vénérable Tim Sa Korn et bien d’autres Khmers Kroms croupissent dans des camps ou des geôles vietnamiennes, oubliés de tous.
Qui sont les Khmers Kroms ?
Kampuchea Krom signifie "Cambodge d’en-bas", c’est à dire du Sud. Le Kampuchea Krom, connu à l’époque comme Cochinchine (surface : 68’000 km2), faisait historiquement partie de l’empire khmer. Il recouvre aujourd’hui le Sud-Ouest du Vietnam (incluant l’actuel Ho Chi Minh-Ville).
Après la deuxième guerre mondiale, la France cède la Cochinchine au Vietnam. Commencent alors les persécutions et tracasseries des Khmers Kroms. Ennemis jurés du communisme, ils ont combattu auprès des Américains dans la guerre du Vietnam. Cela n’a pas arrangé leur sort lors de la victoire du Nord Vietnam. De même, ils ont été massacrés par les Khmers rouges qui les assimilaient aux Vietnamiens.
Par Carole Vann - InfoSud - 8 Octobre 2007
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