~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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Une identité culturelle défendue au fil des siècles

De mardi jusqu'aujourd'hui se tient à l'Université des sciences sociales et humaines de Hanoi le 2e colloque franco-vietnamien de psychothérapie, sur le thème de la culture face à la mondialisation. Le chercheur culturel Huu Ngoc nous rappelle que l'identité culturelle vietnamienne s'est nourrie de nombreuses influences sans jamais perdre son identité.

"Avant de comprendre la culture du Vietnam, il faut commencer par le début, c'est-à-dire par comprendre ce que signifie +Vietnam+. Le nom de ce pays est composé de 2 mots : Viêt, qui désigne l'ethnie Viêt, et Nam, qui signifie Sud. L'ethnie Viêt représente 86% de la population de ce pays. Le Vietnam est donc le pays des Viêt du Sud. De la même façon, Yougoslavie est composée de Yougo qui signifie Sud et de Slavie qui désigne les Slaves, ce qui donne les Slaves du Sud. La question qui se pose est : que sont devenus les Viêt du Nord ? La réponse est : ils ont disparu ! Ou plus exactement, ils sont devenus Chinois. Donc qu'est-ce qu'un Vietnamien ? C'est un homme de l'ethnie Viêt qui ne voulait pas devenir Chinois, qui ne veux pas devenir Chinois, et qui ne voudra jamais devenir Chinois !" C'est ainsi que Huu Ngoc introduit son sujet "L'identité culturelle : quel enseignement tirer du modèle vietnamien ?"

Selon M. Ngoc, une erreur courante consiste à croire que la culture vietnamienne est un appendice de la culture chinoise, de même que le Vietnam serait un appendice de la Chine. Mais en y regardant de plus près, on s'aperçoit qu'il y a là 2 cultures distinctes. Par exemple, la culture vietnamienne ancestrale possède un élément en commun avec le Sud de la Chine, le Laos, le Cambodge, la Thaïlande, la Malaisie, l'Indonésie, etc., c'est-à-dire avec tous les pays subtropicaux d'Asie du Sud-Est, mais pas avec la Chine ancienne du Nord : c'est le tambour en bronze. "Dans ces régions, la culture du riz en terrain submergé nécessitait beaucoup d'eau et lorsque la pluie ne venait pas, les paysans se servaient de tambours en bronze pour invoquer la clémence du Seigneur de la pluie. La culture traditionnelle chinoise se fonde sur une agriculture de terrain sec, ce qui a impliqué de nombreuses autres différences par la suite. D'ailleurs on dit que la Chine s'est développée autour du fleuve Jaune et le Vietnam autour du fleuve Rouge", raconte Huu Ngoc.

Le chercheur culturel illustre le développement de la culture vietnamienne par un arbre dont le tronc serait la culture ancestrale et les 4 branches, les grandes périodes d'influences extérieures. La première pierre de la culture vietnamienne (le tronc), remonte à plus de 1.000 ans av. J.-C. On peut observer encore aujourd'hui des spécificités vietnamiennes qui se sont perpétrées dans les campagnes. Par exemple, comme la culture du riz nécessite 2 fois plus de place que d'autres types de culture (car le riz est repiqué), l'élevage n'a pas été très développé, ce qui se traduit par une alimentation contenant moins de viande que chez les Occidentaux. En Europe où l'on cultive le blé et où les terrains plats sont nombreux, les animaux sont traditionnellement élevés dans des pâturages. Autre spécificité ancestrale du Vietnam, ce sont toujours les femmes qui plantent le riz, car elles sont censées lui transmettre leur fécondité… Huu Ngoc ajoute que "les femmes vietnamiennes portaient des jupes, contrairement aux Chinoises qui portaient des pantalons. Pendant les 12 siècles de présence chinoise, les Vietnamiennes devaient porter des pantalons pour paraître civilisées, mais la résistance culturelle a fait qu'elles n'avaient cessé de porter des jupes. Ce n'est que dans les années 20, pendant la colonisation française, que les femmes vietnamiennes se sont mises à porter des pantalons. Mais aujourd'hui, avec la mode, les jeunes femmes mettent à nouveau des jupes !". "Ce qui est resté de la culture ancestrale vietnamienne, ce sont aussi les cent feuilles de bétel que la famille du futur marié offre à la famille de sa promise…".

Rôle important de la langue vietnamienne

Selon Huu Ngoc, la langue joue également un rôle très important dans la constitution de l'identité vietnamienne : "Certes, de 60% à 70% de mots de notre langue proviennent du chinois, mais si nous perdions les 30% de mots vietnamiens qu'il nous reste, nous perdrions l'unicité de notre identité culturelle, et notre culture serait absorbée par la culture chinoise. Il est arrivé que Hô Chi Minh trouve des expressions vietnamiennes composées de plusieurs mots d'origine chinoise et de changer ces mots par d'autres vietnamiens pour favoriser la pureté et l'originalité de la langue vietnamienne. C'est un peu ce qu'il se passait en France au 16e siècle lorsque la langue française commençait à se développer." Une langue ancestrale qui a permis de conserver les mythes fondateurs du Vietnam. Des croyances ont ainsi traversé les âges et perdurent encore aujourd'hui : l'animisme, le culte de la fécondité, de la mort, des ancêtres, la croyance aux génies, etc. Contrairement à celles de la Chine, les divinités vietnamiennes étaient en majorité féminines. Avant l'arrivée des Chinois au 2e siècle av. J.-C., le rôle de la femme était prépondérant au Vietnam. La société était à moitié matriarcale (sous l'autorité de la mère).

Sur ce tronc culturel originel sont venues du monde entier des influences que l'on peut classer en 4 ensembles principaux : l'influence chinoise, la colonisation française, les 30 années de révolutions et de guerres et le Dôi Moi (Renouveau). Huu Ngoc explique : "La Chine a conquis le Vietnam au 2e siècle av. J.-C. et elle l'a occupé jusqu'au 10e siècle apr. J.-C.. Les Viêt du Nord sont devenus Chinois en l'espace de 12 siècles mais la culture des Viêt du Sud a résisté. Au 18e siècle, les Vietnamiens ont créé leur propre écriture à partir de la langue chinoise et de leurs dialectes ancestraux. L'influence chinoise a cependant perduré jusqu'en 1945, et elle existe encore de nos jours." L'apport culturel de la présence française concerne essentiellement les sciences, notamment les sciences appliquées (électricité, locomotives, etc.). Mais les Français ont également introduit la notion de l'individu et du "moi" dans la philosophie vietnamienne. Le pronom personnel vietnamien tôi correspondant au "je" français n'existe que depuis les années 20. Cette notion d'individu était très différente des préceptes confucianistes hérités de la présence chinoise, mais elle a permis à la littérature et à la poésie de se développer avec l'expression des sentiments intimes et des pensées personnelles…

Selon Huu Ngoc, les 30 années de révolutions et de guerre ont aussi influencé la culture vietnamienne : "C'est l'arrivée du marxisme qui était pour Hô Chi Minh un moyen de réaliser l'indépendance de son pays. Cette volonté d'indépendance lui a d'ailleurs valu la méfiance de Staline et de Mao, mais cela ne l'a pas empêché de réussir à unifier le Vietnam sans détruire l'identité culturelle de son peuple." La période du renouveau a également apporté son lot d'influences extérieures à la culture vietnamienne. "C'est l'apparition du secteur privé, de la notion de concurrence… Le Vietnam s'est développé dans le sillage de la mondialisation et pour mener à bien ce développement des règles ont été posées : nous devons bâtir un pays assez riche, pour ne pas revivre, par exemple, la famine de 1945 ; un pays assez fort pour se défendre ; un pays équitable, avec ni trop de riches ni trop de pauvres ; un pays qui respecte l'individu, et surtout, un pays qui défend son identité culturelle, comme il l'a toujours fait au fil des siècles."

Lorsque 2 cultures se rencontrent, une culture dont l'identité est faible peut être entièrement assimilée et remplacée par l'autre. Mais lorsque les identités culturelles sont fortes, il y a un phénomène d'acculturation, c'est-à-dire que les cultures prennent chacune à l'autre ce qui leur semble bon et rejettent ce qui ne leur conviennent pas. M Ngoc conclut son propos en disant que c'est de cette façon que la culture vietnamienne a évolué sans jamais perdre ses racines, elles a puisé à l'extérieur ce qui lui semblait bon.

Par Grégoire Barrault - Le Courrier du Vietnam - 26 juillet 2007