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Ina-Ich, une si charmante fureur

Une voix puissante, parfois stridente, le fracas des guitares aiguisées du métal, une rythmique furieuse : dès les premiers titres de son album, le rock d’Ina-Ich coupe le souffle. Il y a belle lurette que l’on n’avait pas entendu une fille s’exprimer avec tant de rage sur un disque français…

Ina-Ich est aussi une jeune femme qui s’exprime avec calme et même douceur, habillée plutôt sobrement pour une rockeuse aussi ardente. D’ailleurs, avant le micro, son univers a longtemps été seulement le piano, le piano de la classique. Etre passée de la musique classique au rock, et à un rock souvent très violent, ne lui semble pas une conversion particulièrement spectaculaire : "Ça se rejoint dans l’émotion. Si certains compositeurs classiques avaient eu des instruments amplifiés, beaucoup auraient fait du rock. Certaines œuvres symphoniques, chez les romantiques russes par exemple, il y a une même fougue, une même passion. Les outils et peut-être également le langage changent, mais le fond reste le même. De toute façon, ce n’était pas un projet calculé. Je ne me suis dit que j’allais faire un disque de rock. C’est aussi le produit empirique de mes rencontres tout au long de mon parcours, de l’apprentissage des différents instruments que j’ai accumulés."

Arrivée à Paris au milieu des années 1990, elle intègre un groupe d’électro ("plutôt rapide, jungle") pour lequel elle travaille au séquenceur et au clavier. "Et puis un jour j’ai acheté une guitare électrique et ça a sonné immédiatement plus organique, plus acide, plus déchiré. C’est à partir de là que mes compos se sont orientées vers le rock." Puis, à l’aube du nouveau siècle, elle commence à écrire ses propres textes, "qui correspondent à des expériences dures que j’ai eues dans ma vie, à mon parcours, aux souffrances accumulées."

Origines asiatiques

Parmi celles-ci, une parole qui n’a jamais été prononcée dans la musique populaire en France, et qui est celle des membres de communautés asiatiques. "Il n’y a pas beaucoup d’artistes asiatiques. Nguyen Lê (important guitariste de jazz contemporain) est un des seuls noms que je connaisse en France dans le domaine des musiques actuelles. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que la culture musicale des Asiatiques n’est pas très ouverte, parce qu’ils sont très friands des reprises ? Le rap se développe un peu en ce moment... "

Sur son album, la ravageuse chanson Belle Asiatique passe en revue les humiliations d’un racisme singulier : "Quand ce n’est pas de l’injure directe, c’est le racisme par stéréotypes : les Asiatiques sont très sages, très intelligents, très polis, très zen, très philosophes – eh bien non ! Et puis ce fantasme déplaisant des filles asiatiques qui seraient douces, c'est-à-dire soumises. Et l’ignorance : se faire prendre pour un Chinois, s’entendre répondre, quand on dit que l’on est vietnamien : 'ah c’est chouette, je suis allé en Thaïlande l’année dernière'. Il est parfois plus facile de s’expliquer face aux insultes franches.' D’ailleurs, les injures contre les Asiatiques ne sont pas stigmatisées de la même manière que vers d’autres communautés : " la sortie de l’école, des enfants nous traitaient de chinetoques et leurs parents laissaient dire."

Mais elle évoque aussi, dans des termes d’une rudesse étonnante, la destinée de ses parents, arrivés en France avec leurs quatre premières filles – elle n’avait alors qu’un an – suivies par deux autres après leur installation en Europe. Sur fond de guitares stridentes, elle clame : "A ma pauvre mère qui se perd/Dans ses souvenirs les pires/Celle qu’elle garde pour maudire/Cette fratricide guerre/Qui t’a faite étrangère/Dans son pays loin d’ici/Et maintenant tu survis/Libre comme l’eau dans un verre".

Une vision cruelle de la destinée de ses parents, qui ont "sacrifié leur liberté et leurs rêves pour que leurs enfants puissent vivre leurs rêves". Son père, en effet, était compositeur au Vietnam et a abandonné toute ambition artistique en partant pour la France. "Il avait une grande curiosité de la culture occidentale. Quand il est arrivé, il s’est procuré tout ce qu’il pouvait trouver, de Jacques Brel à Michel Sardou, mais aussi Van Halen et AC/DC, qu’il passait à fond à la maison. Avec cinq sœurs aux goûts musicaux variés, j’ai baigné dans une culture musicale assez riche."

Dés débuts classiques

Elle entre au Conservatoire à La Rochelle où elle s’immerge dans la musique classique. A dix-neuf ans, elle commence une formation d’accordeur de piano. "Tout s’est joué là, dans cette école. Jusque-là, je n’avais connu que la musique écrite, les partitions et le 'par cœur'. Dans cette école, j’ai rencontré des musiciens autodidactes qui jouaient incroyablement bien et de manière spontanée sur ces pianos pourris sur lesquels on apprenait à accorder. A partir de là, j’ai commencé à mettre le nez dans le jazz et mes premières compositions viennent de là."

Aujourd’hui, Thuy a trente-trois ans et parle avec feu de son métier d’accordeur de piano, tout en montant sur scène les bras serrés dans des pansements qui rappellent l’image presque gore de la pochette d’album d’Ina-Ich. Et, même si certaines de ses chansons sont d’une facture pop plus classique, on reste surpris du fracas de ses compositions les plus rock. Elle décoche un sourire à la fois charmant et volontaire : "La raison profonde de ce disque, c’est la gratitude. La gratitude envers mes parents et ce qu’ils ont fait pour nous." Cela méritait du métal.

Par Bertrand Dicale - Radio France Internationale - 18 décembre 2007