Viêtnam: un pays affranchi des fantômes de son passé
La première fois que je suis allé à Saigon, c’était en janvier 1973. Les troupes américaines s’étaient repliées et seuls quelques conseillers militaires assuraient un appui à l’armée sud-vietnamienne. La menace vietcong planait alors sur le Sud-Viêtnam à bout de souffle.
Les seules cartes postales et brochures touristiques disponibles affichaient des scènes de guerre, les enfants affamés venaient manger dans mon assiette sur la place du marché et des filles-mères, portant dans leur bras des bébés con loi (amérasiens, c’est-à-dire nés de père américain), m’invitaient à en assumer la paternité.
La multitude de prostituées désœuvrées à la suite du départ des Américains s’arrachaient les quelques clients potentiels, les seuls mâles en ville en âge de porter un fusil étaient des estropiés de cette guerre qui n’en finissait plus. Et ceux qui prenaient le temps de m’accoster au coin d’une rue n’avaient pour objectif que de me dénicher une prostituée à bon prix, ce qui leur aurait permis, par la même occasion, de prendre leur plaisir derrière moi en guise de commission. La guerre semblait avoir laissé des blessures qui n’étaient pas près de se cicatriser.
Des décennies plus tard, c’est avec beaucoup d’intérêt et d’inquiétude à la fois, que j’ai redécouvert la plus grande ville du Viêtnam, le Saigon giai phong (libéré), comme on le dit officiellement.
Alors que Hanoi, la capitale du nord, vit selon les règles établies, Ho Chi Minh-Ville, l’indomptable métropole du sud, semble toujours vivre selon ses instincts. La ville a beau être pavoisée de drapeaux étoilés sur fond rouge et on a eu beau , il y a une trentaine d’années, lui avoir donné le nom du Bai Ho, de l’oncle Ho, rien n’y fit. Les autocars en direction d’Ho Chi Minh-Ville annoncent toujours Saigon.
Mis à part quelques édifices, dont le palais présidentiel (Reunification Hall) pris d’assaut par les communistes le 30 avril 1975, l’ex-ambassade des États-Unis, les tunnels de Cu-Chi, souvenirs de la guerre souterraine que livraient alors les Vietcongs, et, bien sûr, le Musée des crimes de guerre qui vise d’abord et avant tout à dénoncer l’intervention américaine au Viêtnam, bien peu de choses rappellent cette guerre et elle n’est certainement pas à l’esprit d’une population très jeune qui, majoritairement, n’a pas connu cette période sombre de son histoire.
Ho Chi Minh-Ville, la métropole du sud
Ho Chi Minh-Ville, la plus grande ville du pays avec quelque 5 millions d’habitants, est d’abord et avant tout la ville de la moto. Plus d’un million de motos envahissent quotidiennement les rues de la ville, lui donnant son rythme et son caractère propre.
Si la ville s’anime autour des marchés du lever au coucher du soleil, le soir venu, c’est le long du boulevard Nguyen Hue, les « Champs-Élysées » d’Ho Chi Minh-Ville, et des rues adjacentes au centre-ville que l’action se déroule et où l’on va faire un tour de moto avec sa blonde.
Il faut vivre un dimanche soir pour palper cette frénésie qui s’empare de la jeunesse d’Ho Chi Minh-Ville alors qu’elle s’adonne au chay rong rong (la grande randonnée en moto), sorte de défoulement collectif où des milliers de jeunes, à bord de leur moto, se donnent rendez-vous et font le tour pendant des heures de quelques pâtés de maisons du centre-ville sous le regard bienveillant de l’oncle Ho, dont la statue trône devant l’hôtel de ville, mais l’air inquiet des personnes plus âgées qui se demandent où s’en va la jeunesse.
Hanoi, la capitale du nord
La capitale du nord a peut-être gagné la guerre en 1975 et imposé son régime politique, mais la métropole du sud a su garder sa personnalité. À côté du poids démographique et des allures de grande ville occidentale d’Ho Chi Minh-Ville avec ses néons des boulevards Le Loi et Nguyen Hue, Hanoi a l’air d’une petite ville de province calme et austère.
Le centre d’intérêt de Hanoi est sans contredit la vieille ville blottie entre la citadelle, le fleuve Rouge et le lac Hoan Kiem. C’est dans ce quartier aux murs noircis par le temps et l’humidité que bat le cœur de la capitale vietnamienne. Tout le quartier est, en fait, un immense marché où se concentrent les fleuristes, les vendeurs de vêtements ou encore les marchands de fruits, de légumes et de volailles qui occupent, tantôt le rez-de-chaussée de la maison, tantôt la pièce avant, laissant bien peu de place à l’intimité familiale.
Et faute d’espace pour y vendre sa marchandise, on envahit les trottoirs et même les rues pour en faire un grand rassemblement de chapeaux coniques et de balanciers du lever au coucher du soleil, et même tard en soirée.
La baie d'Along
Un voyage au Viêtnam ne serait pas complet sans un détour dans la baie d’Along. Située à quelques heures de route au nord de Hanoi et considérée à juste titre comme l’un des plus beaux paysages au monde, la vue des quelque 3000 îles qui émergent du golfe de Tonkin comme autant de pains de sucre est à couper le souffle. On retrouve également le même paysage féerique à Nim Binh, à quelques heures de route au sud de Hanoi, mais cette fois dans sa version terrestre avec ses cours d’eau tout en méandres et ses rizières.
La vie au quotidien dans le delta du Mékong
Au sud du pays, le Mékong est omniprésent. Le Cuu Long, le fleuve aux neuf dragons, comme l’appellent les Viêtnamiens, s’étend, avec ses nombreux embranchements, dans toutes les directions et forme un immense delta. Rivières et canaux s’entremêlent pour former un réseau de communication de plusieurs milliers de kilomètres carrés. C’est le grenier à riz du sous-continent.
Le delta du Mékong est, en fait, comme un mélange de terre et d’eau où alternent canaux de navigation, marchés flottants et rizières de boue où paysans et buffles s’exténuent à la tâche. Et là où les canaux les plus importants convergent se sont érigés des villages, des villes même. Avec ses 15 millions d’habitants, le delta du Mékong, le Cochinchine, comme l’appelaient les Français, est la région la plus densément peuplée du Sud-Est asiatique.
Can-Tho, à environ 200 kilomètres de Ho Chi Minh-Ville, est au cœur du delta du Mékong. On y accède par voie de terre après avoir traversé des dizaines de ponts qui enjambent autant de canaux et de cours d’eau et où la vie des paysans semble se passer, courbés en deux dans les rizières, la tête enfouie dans leur chapeau pointu.
Il faut prendre le temps de se perdre, pendant quelques heures, dans les méandres de ces canaux du delta, tous plus étroits les uns que les autres au fur et à mesure que l’on avance dans les rizières, pour découvrir toute la vitalité du delta. Hommes affairés à réparer une embarcation, femmes occupées à faire la lessive ou à laver quelques plats aux abords des canaux, enfants rieurs qui pataugent dans des eaux brunâtres, la vie du delta est régie par le flux et le reflux des marées.
Tôt le matin, les rives du fleuve à Cai-Rang, non loin de Can-Tho, deviennent le théâtre d’un immense marché flottant. C’est là que se donnent rendez-vous, à proximité des maisons sur pilotis qui garnissent ses berges, une myriade d’embarcations chargées de melons, de patates douces, de bananes, etc., et qui vont et viennent dans toutes les directions dans l’espoir de trouver preneur.
Pays du chapeau conique, le marché de Can-Tho, situé aux abords du Mékong, s’anime à son tour du lever au coucher du soleil et plus tard encore, alimenté par le va-et-vient des embarcations de toutes sortes qui font la navette entre les deux rives. Le soir venu, le grand parc qui longe le fleuve à proximité du marché est le lieu de rendez-vous privilégié des couples, des jeunes familles et de groupes d’amis qui s’y retrouvent sur leur moto pour profiter de la fraîcheur de la fin du jour à l’ombre, là comme ailleurs au pays de Vietnamiens, de la statue de l’oncle Ho.
Par Gérard Coderre - Le Soleil (.ca) - 3 Novembre 2007
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