Culture, modernité et santé mentale au centre d'une conférence à Hanoi
L'Espace-Centre culturel français de Hanoi a accueilli le 26 juillet une conférence sur le thème "culture et santé mentale", modérée par Alexandre Minski, attaché de coopération universitaire à l'ambassade de France, et en présence du psychiatre Barthe Nhi, du neuropsychiatre Boris Cyrulnik, et du psychothérapeute Nguyên Tan Lôc.
La première question soulevée par cette rencontre est celle du métissage culturel. Selon Boris Cyrulnik, "le métissage est une épreuve et un bienfait. Autrefois chacun mourrait dans le lit où il naissait, et ne connaissait qu'une seule religion, qu'une seule langue, etc. Aujourd'hui, après seulement 2 générations, tout le monde parle plusieurs langues, connaît plusieurs cultures : cette mixité est difficile à assumer mais elle est éclairante. Elle permet de se poser des questions sur sa culture et ses traditions." Barthe Nhi rappelle qu'être métisse, "c'était d'abord être dévalorisé, rejeté des 2 côtés, comme le furent les Apaches. Le premier sens du terme +métisse+ est biologique : on parlait de +sang mêlé+. Aujourd'hui on ne parle plus de sang, mais de culture. Dans ce sens, le métissage peut devenir un facteur d'innovation et de créativité."
Les conférenciers se sont ensuite exprimés sur la question des maladies mentales. Barthe Nhi raconte que "les médecins coloniaux décrivaient des maladies extraordinaires. Par exemple, le Latha indonésien : les personnes atteintes de cette maladie tremblaient beaucoup et imitaient comme des pantomimes tout ce que les gens faisaient. Aujourd'hui, après le choc et la modernisation des cultures, ces maladies atypiques ont pratiquement disparu. La question que suggère cette observation est de savoir si la culture ne fabrique pas elle-même des maladies mentales…"
Boris Cyrulnik répond à cette question par l'affirmative. Selon lui, la culture crée des maladies : "Par exemple, en occident, où une bonne tenue est implicitement exigée par la société, l'idée que des personnes puissent être victimes de convulsions est insupportable ! C'est nécessairement le symptôme d'une maladie. Alors qu'en Afrique, il est tout à fait normal d'avoir des convulsions. Par contre, la schizophrénie varie peu en fonction de la culture. Au bout de 10 à 15 ans de maladie, les schizophrènes se ressemblent tous, qu'ils soient inuits, européens ou américains. On constate cependant qu'au début, l'expression de leurs souffrances varie : les schizophrènes américains sont violents alors que les schizophrènes inuits sont plus calmes." Certaines manifestations psychiques seraient donc tantôt considérées comme des maladies mentales, tantôt comme des normalités, selon le contexte culturel dans lequel elles sont recensées.
La modernité crée aussi de nouvelles maladies. Boris Cyrulnik explique que "dans nos cultures technologiques, tout devient morcelé : les relations, le travail, la vie quotidienne… Cela entraîne des dépressions. Nos capacités techniques ont entraîné une fragilité psychique, ce qui fait que nous avons aujourd'hui plus que jamais besoin de culture : de mythes, d'histoires, d'art, etc." À propos de la modernisation de la société, Barthe Nhi ajoute que "la culture vietnamienne devient de plus en plus permissive, ce qui a de bonnes et de mauvaises conséquences : les Vietnamiens peuvent se droguer plus facilement aujourd'hui et connaissent des problèmes d'alcoolisme. Mais ce qu'ils ne pouvaient pas faire avant, par exemple, c'est de parler de leurs problèmes de sexualité, pour essayer de les résoudre…"
Par Grégoire Barrault - Le Courrier du Vietnam - 27 juillet 2007
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