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Francophonie : un vecteur pour intensifier les relations Sud - Sud

La Francophonie est observée comme un vecteur des relations internationales (RI). Le professeur en sciences politiques Bertrand Badie (IEP Paris,) évoque les nouveaux paramètres de l'espace mondial, dans le cadre d'un colloque francophone tenu récemment à Hanoi.

Quelle est la position de la Francophonie dans le processus de la mondialisation, pour lequel, l'anglais et le chinois deviennent dominants ?

Il faut distinguer entre les puissances d'État et la réalité que représente une langue. Elle est avant tout un outil de communication avec sa logique propre et son autonomie et pas seulement l'instrument politique d'un État. Il ne faut pas ramener la question linguistique aux questions d'État. La langue française n'appartient pas seulement à l'État français, et n'est pas uniquement fonction de la capacité de puissance de l'État français.
Le jeu de rivalité des puissances en Asie n'est pas réductible aux effets d'influence linguistique. La Francophonie est une organisation internationale, mais elle est d'abord et avant tout une réalité transnationale. C'est-à-dire, des hommes et des femmes partout dans le monde qui parlent le français soit à titre de langue maternelle, soit à titre de langue acquise dont ils font usage et qui leur permet d'accéder à une culture.
Lorsque je raisonne sur les langues et d'une façon plus générale sur les cultures, je me garde bien de me précipiter vers la géopolitique car les cultures ne sont réductibles ni à des logiques de puissance ni à des logiques de territorialité. Elles ont leur autonomie propre, et à l'intérieur de beaucoup d'États, elles viennent fusionner avec d'autres caractères identitaires.

D'après vous, quel est le rôle de la Francophonie dans le rapport Sud - Sud ?

Les rapports Sud - Sud deviennent de plus en plus un élément fondamental des RI dans la mesure où la bipolarité nous a habitués à des relations uniquement Nord-Sud. C'est-à-dire, les pays du Sud se définissent derrière un camp ou un autre du Nord. Maintenant avec la fin de la bipolarité, la fin de la compétition entre l'ex-URSS et les Etats-Unis, il y a une diversification des RI, et notamment une montée des relations Sud - Sud telles Asie-Amérique latine, Asie-Afrique, qui sont nouvelles dans la vie internationale. Il est vrai que la Francophonie peut être et est un vecteur de l'intensification des relations Sud - Sud. La Francophonie peut aider à promouvoir des relations entre, par exemple, le Vietnam et les pays d'Afrique. Les forums francophones sont aussi des lieux où le Vietnam, le Cambodge, le Laos rencontrent des Etats d'Afrique maghrébine ou d'Afrique subsaharienne et il est certain que ceci contribue à cette extraordinaire diversification des vecteurs de relations internationales.

Comment estimez-vous l'influence du soft-power américain dans les relations internationales ?

Le soft-power américain est extrêmement développé et poussé par des ventes très favorables. Un soft-power est un pouvoir auquel on adhère de façon consentie. Il y a une volonté partout dans le monde d'adhérer à la culture, au mode de consommation, au style de vie américains. Tout ceci est un paramètre fondamental du jeu impérialiste de l'Amérique, un paramètre promu aux Etats-Unis à la fin des années 70, un peu en réaction à leur défaite au Vietnam. Les Américains ont compris que le hard-power ne pouvait pas leur rapporter tout ce qu'ils espéraient et ont donc reporté leur espoir sur le soft-power avec des résultats réels liés à cet engouement généralisé pour les Etats-Unis. Mais, il y a un amendement très important : la réussite du soft-power américain n'a eu aucun effet d'entraînement sur le plan politique et surtout sur la politique étrangère. Partout dans les zones sensibles, notamment au Moyen-Orient, en Amérique latine où la consommation américaine est très appréciée, la politique américaine est en même temps violemment rejetée. Et c'est peut-être un des paramètres surprenants de notre vie internationale d'aujourd'hui, que ce mélange étrange entre une popularité du modèle américain se combine à un rejet violent de la politique américaine.
Je crois que nous sommes entrés dans un monde où la puissance n'est plus le paramètre fondamental des relations internationales, pour la première fois depuis 300 ans.

Est-ce que dans le règlement des conflits particuliers (Irak, Côte d'Ivoire et Liban), la langue française donne une voix (e) aux négociations ?

Le problème du français et de la culture française me parait assez fortement distinct du problème de compétitions diplomatiques. Je ne suis pas sûr que la Francophonie puisse être un vecteur déterminant de l'intervention française au Moyen-Orient et cela ne serait pas une bonne idée. Car le Liban est un pays multiculturel dont la diversité culturelle est source de sa fragilité et de ses risques d'éclatement communautaire. Il est même certain que la Francophonie ne se superpose pas à une communauté. La communauté chrétienne maronite est perçue comme étant davantage dans le mouvement francophone, contrairement aux communautés chiite ou sunnite. Donc de mettre l'accent sur la Francophonie, c'est un peu peser déjà sur le débat communautaire. La Côte d'Ivoire est aussi un autre exemple. Le contexte francophone ne facilite pas nécessairement la solution de crise qui renvoie des paramètres autrement plus complexes.

Les médias sont appelés le 4e pouvoir. Est-ce que la nouvelle chaîne d'information internationale France 24 pourrait d'après vous dynamiser la Francophonie ?

Certes, la communication devient non seulement un instrument mais même un enjeu fondamental des relations internationales. Il faut s'attendre que dans les années à venir, l'espace médiatique transnational soit de plus en plus occupé par tous ceux qui ont vite grandi sur la scène internationale. Ainsi, France 24, un média français, est créé dans cette perspective. Le grand enjeu des RI, c'est de faire en sorte que tout soit su et connu partout dans le monde. Il n'y a plus d'intimité souveraine. Ce sont les nouvelles relations internationales, car dans les anciennes l'ignorance était presque la règle. Effectivement, les médias vont devenir un acteur majeur des relations internationales.

Après 20 ans de Renouveau, le Vietnam a acquis des progrès faisant preuve de son intégration internationale. Quelle est votre opinion sur le plan politique du PC vietnamien ?

L'évolution du Vietnam est absolument spectaculaire. Si je compare le Vietnam des années 90 avec ce qu'il est aujourd'hui, je crois que rares sont les pays dans le monde contemporain qui ont changé à une telle vitesse. Je crois que le processus d'intégration y est pour beaucoup : L'entrée dans l'ASEAN, l'OMC, l'activation de la diplomatie onusienne du Vietnam, la multiplicité des formes institutionnellement légères mais efficaces d'intégration en Asie. Avec tout ceci, je suis convaincu que le Vietnam est aujourd'hui dans la mondialisation qui pèse de manière très forte sur ses mutations socio-économique et politique.

Par Lê Thanh Tu - Le Courrier du Vietnam - 6 février 2007