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A Muong Lay, au nord Vietnam, une vallée promise à la montée des eaux

En 15 ans, la petite ville de Muong Lay a perdu son nom d'origine et la moitié de ses habitants. Son déclin est inexorable: sacrifiée sur l'autel du développement, elle va bientôt disparaître dans le réservoir d'un immense barrage. Cette vaste vallée encaissée du nord-ouest du pays, à 500 km de Hanoï, a puisé la richesse de son sol dans les alluvions déposés au fil des siècles par la Rivière noire.

Mais à partir de 2010, elle sera engloutie par le projet hydroélectrique de Son La, un barrage de 215 m de haut pour 18.000 hectares inondés. Quelque 2,6 milliards de dollars pour répondre à une demande d'électricité nationale qui augmente de 15% par an. Officiellement, les autorités ont tout prévu pour les 94.000 déplacés répartis dans trois des provinces les plus pauvres du pays. Chaque famille doit indiquer où elle souhaite être relogée et l'Etat a promis 20 kilos de riz par mois et par personne pendant deux ans. "Les autorités fourniront aussi une aide financière pour ceux qui veulent changer d'activité et chaque famille disposera d'au moins 0,45 hectare de terre", assure Vo Hong Thanh, chef-adjoint du projet de déplacement des populations pour la province de Dien Bien.

Mais l'histoire n'est pas la même dans la rue principale de Muong Lay, qui n'est plus éclairée la nuit tombée qu'à ses deux extrémités. Les zones de relogement ? "Rien n'a commencé", tranche Nguyen Trung Thanh, mécanicien de 48 ans. "De toutes façons, il n'y a plus de bonnes places pour tout le monde". Les aides financières ? "La corruption est inévitable". Depuis 15 ans, les habitants de Muong Lay ont assisté à sa lente agonie après les inondations de 1990, puis celles, meurtrières, de 1996. En mars 2005 enfin, un redécoupage administratif a privé la ville de son statut de capitale provinciale. "Beaucoup de gens sont partis et maintenant c'est le désert", constate Hoang Hong Hai, un chauffeur de bus de 32 ans. "La clinique est ouverte mais tous les bons médecins sont partis (...) C'est une ville morte".

Le tableau est identique dans les villages des ethnies minoritaires de la vallée, majoritairement Hmongs et Thai blancs, et dont les terres sont vouées à la disparition. Bientôt, il leur faudra apprendre l'élevage, la pisciculture ou l'artisanat. C'est le cas du village de Nam Can, dont les 76 familles ont été temporairement déplacées d'un km pour que les bulldozers préparent le terrain à l'accueil de 400 autres familles. Lorsqu'elles reviendront à leur lieu initial, leurs sept hectares de rizières auront disparu. "Ce sera difficile pour les paysans d'apprendre les nouveaux métiers", explique Lo Van Thoong, le chef du village. Mais le pouvoir n'est pas de son côté. "Si on nous demande de cultiver des arbres ou de faire de l'élevage, on le fera".

L'an passé, des associations vietnamiennes ont publié un rapport sur le projet du barrage qui dénonçait notamment la mauvaise gestion, ainsi que l'absence de terres et de services essentiels pour de nombreux déplacés. "Ces ménages sont susceptibles de souffrir de manque de nourriture et pourraient replonger dans la pauvreté si une source durable de revenu n'est pas trouvée", indiquait le texte diffusé par une organisation américaine de protection de l'environnement. A Muong Lay, la famille de Nguyen Khac Giao, 70 ans, maintient en état le dernier hôtel de la ville, 55 chambres rongées par les termites mais remplies par les touristes en quête de routes défoncées et de vallées magiques. "Les compensations proposées par l'Etat ne sont pas suffisantes mais on n'a aucun moyen de négocier", admet cet ancien haut-magistrat provincial. Mais il ajoute: "on restera jusqu'à bout, jusqu'à la montée des eaux".

Thanh, le chef-adjoint du projet, n'entend rien de tout ça. "Nous n'avons reçu aucune plainte. Selon les rapports envoyés depuis la base, tout le monde est content".

Agence France Presse - 15 janvier 2007