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Piège à tigres pour touristes

À Sa Pa, au Vietnam, l’exotisme a fait place à un conformisme de pacotille pour répondre à la demande intérieure

À vouloir uniformiser un lieu et à gommer sa couleur locale, on finit par lui enlever son âme et tuer du même coup ce qui fait sa spécificité. En témoigne l’histoire de Sa Pa, un village de 6 000 habitants situé au nord du Vietnam, tout près de la frontière chinoise. Station d’altitude réputée jadis pour le pittoresque de ses marchés colorés tenus par des minorités ethniques, principalement celle des Hmong, Sa Pa a bénéficié d’un boom touristique extraordinaire ces dernières années. De 1995 à 2003, le tourisme a augmenté de 50 % par année en moyenne; la clientèle du tourisme national, composée de Vietnamiens, forme 80% des arrivées, tandis que la clientèle des touristes internationaux fournit le reste. Le fait que Sa Pa tende progressivement à devenir un endroit de villégiature standardisé, avec ses hôtels impersonnels et ses boutiques de souvenirs, expliquerait l’engouement de la classe moyenne vietnamienne à son endroit, en même temps qu’il motiverait le désintérêt des étrangers pour ce même lieu, constate Jean Michaud, professeur au Département d’anthropologie, dans une recherche portant sur le tourisme pratiqué dans ce coin de la planète.

Une visite manquée

«C’est un peu comme si on faisait visiter à des touristes français un village du Québec où vivent notamment des Amérindiens sans leur parler des autochtones en présence, explique l’anthropologue. Les Français seraient fort déçus.» «En même temps, les autorités locales en présence ont tout à fait le droit de vendre leurs attraits touristiques comme bon leur semble, précise Jean Michaud. Mais dans le cas de Sa Pa, cette mise en marché s’effectue au détriment des minorités qui, elles, ne sont pas consultées et n’ont pas la chance de profiter de la manne.» Comme le souligne l’anthropologue dans un article paru récemment dans Annals of Tourism Research, la mainmise des Vietnamiens sur le tourisme local fait en sorte que les minorités ethniques, qui forment 85 % de la population de la région, ne récoltent que des miettes sur le plan économique. Le tableau n’est guère plus reluisant sur le plan culturel, puisque cet essor touristique accélère l’assimilation des minorités à la nation vietnamienne, en plus de provoquer chez les jeunes un fort sentiment de dévalorisation de leur culture traditionnelle.

«Beaucoup de touristes étrangers ont développé un imaginaire très fort pour le village de Sa Pa, raconte Jean Michaud. Ils s’attendent donc à voir de l’authentique, du vrai, entres autres les fameux marchés locaux. C’est pour cette raison qu’ils ont parcouru des kilomètres, et non pas pour voir des infrastructures comme on en retrouve partout au Vietnam. Déçus par leur visite, ils le font savoir à d’autres. Avec le résultat que certains guides de voyage vont mettre en garde leurs lecteurs envers cette destination qui ne remplit plus ses promesses.»

Il faut dire que les touristes internationaux qui se rendent de nos jours à Sa Pa le font plus souvent qu’autrement sac au dos, une clientèle qui se trouve à mille lieux des Vietnamiens qui, par exemple, viennent y passer une fin de semaine en groupe ou en famille pour se reposer et admirer la nature sans trop se salir ni se poser de questions. Si le cœur leur en dit, ils visiteront peut-être l’un de ces marchés locaux tant vantés dans les guides touristiques, en se disant qu’ils touchent à un univers exotique, mais pour lequel ils n’ont au fond qu’un intérêt très limité.

Par Renée Larochelle - Au fil des évenements / Université Laval - 7 Septembre 2006