~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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Escapade à Sapa

Fondée en 1922 par des Français en mal de fraîcheur, la ville de Sapa se trouve perdue au milieu de la chaîne de Hoàng Liên Son dans le Nord-Ouest du pays. De hautes montagnes, du brouillard et de la fraîcheur ne sont pas sans rappeler quelque peu les Alpes. La présence d'ethnies lui donne un visage bien différent du Vietnam des villes, et de la côte.

Tout commence par une cohue indescriptible à la gare de Hanoi. Deux trains sont prévus quasiment au même moment et de véritables hordes de voyageurs attendent avec impatience qu'on ouvre l'accès aux quais. Plus chanceux que certains de nos confrères ayant fait le périple précédemment, nous avons réussi à décrocher 2 couchettes soft. Nous tombons sur 2 touristes qui portent en eux toute la Scandinavie : très sages, ne prenant que des biscuits diététiques/bio, parlant un impeccable anglais (rare en France), grands et blonds.

À 21h30 le train quitte lentement la capitale pour foncer plein Nord. Nous passons pratiquement dans des cybercafés installés au bord des voies, empruntions des ponts qui ne sont pas sans rappeler le métro aérien de Paris et enfin traversons le fleuve Rouge par le pont Long Biên. L'Asie a quelque chose de fascinant : partout il y a du monde, une lumière allumée, un vélo qui roule ou un homme en train de dormir au pied d'un arbre. Une radio diffusant d'étonnantes chansons locales est mise en veilleuse ; on n'entend plus que les mouches volées dans le wagon : la nuit peut commencer.

À 06h45, la radio se rallume brusquement, les rêves s'enfuient et la réalité revient au grand galop : le train arrive 5 minutes plus tard et on ne peut se permettre de traîner au lit, le personnel attendant le départ des derniers paresseux pour remettre le trin en état avant le prochain de voyage. Dans le monde entier les taxis essayeront toujours de maximiser leur rendement, surtout si le touriste fait une tête de déterré et semble donc coopératif en tout point. C'est bien normal, qui ne le ferait pas ? Mais non, cette fois ci cela ne marchera pas : il n'est physiquement pas possible de faire rentrer 15 personnes et 15 sacs de la même taille dans un minibus pour 9, sans compter le chauffeur évidemment. Quarante cinq minutes plus tard, et après moult efforts, le véhicule atteint Sa Pa.

Il fait frais, brumeux et malgré l'heure matinale, des femmes H'mông sont déjà sur le pied de guerre pour vendre aux premiers touristes venus le moindre "souvenir". Dehors, il y a désormais une pluie battante. Pour une personne qui compte profiter un minimum de ses ballades pour admirer le paysage, il n'est pas possible de sortir. On ne voit rien, le brouillard ayant eu la bonne idée de faire un tour à Sa Pa ce week-end là. Le marché de la ville est une merveille : en premier lieu nous sommes les seuls non vietnamiens, ce qui ne peut que donner à l'endroit un air d'authentique, air souvent perdu dans les grandes villes depuis bien longtemps. Les femmes H'mông sont d'excellentes commerçantes, et leur agilité va de paire avec leur âge. Alors que mon compère tente d'essayer une tunique chez l'un d'entre elle, les 7 voisines bondissent littéralement de leurs chaises pour le cerner et lui proposer exactement la même chose. Manches trop larges, files qui pendent, taille trop longue ou couleur qui ne va pas, son bonheur est dur à trouver au milieu de tant de choix. Mais quel bonheur de voir toutes ces femmes coudrent leurs vêtements derrière leur étale, et la minute suivante se retrouver debout, bras tendus en train de vendre leur fabrication. La négociation sera rude, pleine de menace d'aller voir la voisine, de zéros qui apparaissent et disparaissent comme par enchantement, de billets de dôngs et de rires, avant de se finir par de larges sourires de satisfaction de toute part.

À la découverte des minorités locales

Chai a 17 ans, c'est une H'mông noire mais porte une robe de H'mông fleur par fantaisie. Elle a de longs cheveux noirs détachés, 2 petits crucifix à chaque oreille et un bracelet local cerné d'une dizaine en plastique - sûrement plus "fashion" - à chaque poignet. Elle va nous accompagner toute la journée, de Sa Pa jusqu'au village de Ta Van, à 15 km plus loin dans la vallée. Troisième d'une famille de 5 enfants, elle est la seule guide, les autres cultivant encore riz et maïs. Il ne fait aucun doute qu'elle doit être l'une des seules, voire la seule, source de revenus extérieurs de la famille. La culture est encore vivrière ici. On pourrait presque résumer la vie de ces gens avec le proverbe cambodgien "pas de pluie, pas de riz". Je suis émerveillé par les ingénieux systèmes de canaux, de tuyaux et de souterrains mis en place pour récupérer l'eau. Celle-ci ne manquant pas dans la région elle est tout de même traitée comme une denrée rare, et pas une seule goutte ne semble être gâchée.

Chai parle un très bon anglais, appris selon ses dires au contact des touristes étrangers. Elle parle donc 3 langues qui sont le H'mông, le vietnamien et l'anglais. En outre, elle a eu la chance d'aller à l'école. Depuis quelques années, le gouvernement a décidé d'investir de façon importante dans la région afin de la doter d'infrastructures conséquentes. Il y a donc dans chaque grand village un bâtiment qui abrite une des écoles maternelle, primaire et secondaire. Selon elle, presque tous les enfants de la région y vont, sauf en ce moment car ils sont en vacances. Je ne peux néanmoins que me poser quelques questions quand je vois des enfants, hauts comme 3 pommes, nous attendre en haut des chemins pour nous vendre des bâtons de bambou 2 fois plus grand qu'eux. En effet qui ramène de l'argent à la maison le reste de l'année pendant qu'ils étudient ? Pendant le déjeuner, un groupe de femmes et d'enfant nous dévorent des yeux. À notre sortie de la maison, ils se jettent sur nous pour essayer de nous vendre leurs cargaisons. Baskets ou bottes en caoutchouc aux pieds, bracelets en plastiques aux poignets et le désormais incontournable "buy for me" qui sort de leur bouche, c'est à se demander si ces gens portent plus leurs costumes que dans l'espoir d'attirer plus facilement les touristes. La ballade dans les rizières l'après midi est une merveille : voir ses montagnes intégralement cultivées ne peut qu'impressionner, tout comme la verticalité des champs de maïs. Au bord de la route nous apercevons de grands tonneaux renfermant la préparation bleue servant à teindre les habits des locaux. Un tonneau brun, refermant du bleu, posé sur un chemin de terre rouge, serpentant au milieu de rizières vertes, faisant face à un ciel bleu sans nuage... À défaut d'avoir vu un arc-en-ciel, ce sont toutes les couleurs de la trousse de dessin d'un écolier que nous verrons à nos pieds.

Le retour au village après cet après midi divin est un peu dure. Des enfants se jettent contre la voiture pour nous proposer des sortes de flûtes et de pauvres femmes nous poursuivent presque jusque dans les cafés. Au marché, toutes les femmes H'mông sont encore là, souriantes, affairées à coudre de nouveaux vêtements, mais aussi prêtes à se jeter sur le moindre touriste qui aura le malheur de ne pas être sûr de ce qu'il désire tout de suite... Sa Pa est une très belle région au climat merveilleux, pour qui aime un tant soit peu la pluie, la fraîcheur et les montagnes. C'est aussi une région qui n'a pas fini de nous surprendre.

Par Thibault Moleux - Le Courrier du Vietnam - 23 Juillet 2006