Quand le Vietnam rêve d’OMC
Le Vietnam pourrait intégrer en octobre l’OMC. Cette entrée, qui couronnerait 20 ans de libéralisation en accéléré, profitera à l’industrie du textile, en plein boom. Un nouveau concurrent pas forcément bien vu au Sénat américain.
Adieu le T-shirt ou le pull made in China ! Sur les étagères des grandes chaînes de vêtements comme GAP ou Zara, on trouve déjà de plus en plus d’habits étiquetés, made in Vietnam. Un avant goût de la déferlante qui envahira les enseignes préférées des Occidentaux si le Vietnam rejoint l’OMC en octobre comme prévu. Principaux bénéficiaires de cette libéralisation des échanges, l’industrie textile et les Etats-Unis, son premier client. Ce secteur clé de la croissance vietnamienne (avec la production de pétrole brut et la chaussure) draine 3, 1 milliards de dollars rien qu’avec ses exportations vers les Etats-Unis.
« Cette admission à l’OMC a d’énormes conséquences » explique Doan Duy Khuong, vice-président de la chambre de commerce et d’industrie vietnamienne. « Pour être plus fort, nous devons être compétitif. » Etape préliminaire à cet adoubement dans la cours des grands, la signature en mai dernier d’un traité bilatéral avec les Etats-Unis exposant les mesures de dérégulation à prendre. Ce texte doit encore être ratifié par le Congrès américain, qui lui accordera la « clause de la nation la plus favorisée », s'engageant ainsi à ne pas imposer de droits de douane plus élevés sur les exportations vietnamiennes que sur celles de ces autres partenaires commerciaux, membres de l’OMC. Le Vietnam pourrait toujours adhérer sans cet accord mais le commerce entre les deux nations ne serait pas régi par les règles internationales, pénalisant donc les sociétés américaines.
Pour la première fois de l’histoire de ce pays asiatique, toutes les firmes devront être traitées sur un pied d’égalité qu’elles soient vietnamiennes ou étrangères, publiques ou privées. Alors que la corruption fait rage, des lois régulant les investissements et la gestion des entreprises ont été adoptées. Devraient suivre des textes modernisant la sécurité sociale et le système d’imposition. Les droits de douane devront diminuer de 15% et les entreprises former leurs employés à communiquer directement avec leurs acheteurs étrangers. Des usines comme Hanosimex, qui réalise la moitié de son chiffre d’affaire à l’export, ont déjà envoyé leurs cadres en stage au Japon ou à Hong-Kong. Surtout, l’Etat devra diminuer ses aides (prêts à taux préférentiel, promotion gratuite), ce qui conduira les plus petites et fragiles entreprises de textile à fermer boutique, à moins qu’elles ne réussissent à former des alliances internationales. La situation pourrait être dramatique pour les firmes publiques, qui dépendaient entièrement de ces subventions.
Mais tous ces « sacrifices » sont accomplis avec enthousiasme, au regard de cette « clause de la nation la plus favorisée ». Dès lors le Vietnam sera un acteur commercial comme les autres. A cause de son régime communiste, il est toujours soumis à un régime de quota d’exportation et n’assure que 3,2% des importations américaines de vêtements. Une goutte d’eau par rapport à ce qui sort des usines de la Chine dont le développement record depuis son accession en 2001 à l’OMC fait rêver.
Un potentiel économique qui fait aussi saliver le pays de l’Oncle Sam. Le Vietnam est un marché prometteur, qui n’attend que les investisseurs étrangers. Son PNB a progressé de 8,5% en 2005 et les dépenses des consommateurs de 20%. La société de conseils, A.T Kearney, juge l’économie vietnamienne moins susceptible d’être parasitée par des tensions diplomatiques que celle de l’empire du milieu. Elle est plus attractive aussi avec son taux d’alphabétisation de 90% et son coût du travail deux fois moins élevé. Le marché des services dans la banque, les télécommunications et l’assurance regorge d’opportunités pour les firmes américaines. Plus de 50% des 84 millions d’habitants ont moins de 30 ans et sont des fans enthousiastes de la culture américaine.
Cependant même au pays du libéralisme, cette analyse capitaliste avantageuse n’est pas du goût de tous. Elle a provoqué l’ire des sénatrices de Caroline du Nord et du Sud, Elizabeth Dole et Lindsey Graham. Elles militent pour un report du vote de cette clause. Des milliers d’Américains originaires de ces deux états, qui abritaient une industrie de confection depuis le XIXème siècle ont perdu leurs emplois depuis le démantèlement des accords multifibres en 2005. Pour ces républicaines, le textile américain ne peut faire face à un nouveau choc d’autant plus que le Vietnam pourrait facilement devenir le deuxième fournisseur de vêtements des Etats-Unis. « Le Vietnam ne peut acheter au même volume que les États-Unis. Vous devez vous méfier de cette dynamique quand nous faisons face à un déficit commercial de 800 milliards de dollars. Il y a 5 ans le Vietnam n’exportait que pour 49 millions de dollars d’habits, ses capacités de production sont considérables ! », explique Lloyd Wood, porte-parole de l’American Manufacturing Trade Action Coalition (AMTAC).
Malgré cette union entre politiciens, lobbyistes et organisations des Droits de l’Homme, qui dénoncent les répressions religieuses et politiques toujours en vigueur au Vietnam, le Congrès devrait valider ce traité, qui constitue un élément essentiel de la politique de Bush en Asie. Le président compte venir en octobre à Hanoi pour la conférence de l’APEC (Coopération économique pour l'Asie-Pacifique) une bonne nouvelle à la main. Le capitalisme aura alors réussi ce que les GI n’avaient pu faire faire : rétablir la paix entre deux pays historiquement antagonistes.
Par Constance Jamet - Marianne - 29 Août 2006
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