Les mutations sociales bousculent le régime de Hanoï
BANGKOK - Le Parti communiste vietnamien (PCV), au pouvoir depuis la victoire de 1975 sur les Etats-Unis, a ouvert, mardi 18 avril à Hanoï, son Xe congrès quinquennal avec un certain nombre de tâches pressantes : tenter d'endiguer une corruption envahissante ; admettre en son sein la classe"capitaliste" qui assure au pays (86 millions d'habitants) le record de croissance de l'Asie du Sud-Est ; trouver de nouveaux rouages de gestion sociale devant la montée de revendications qu'il n'avait pas pour habitude de traiter ; imaginer des formules conciliant le maintien du régime au défi que représente sa candidature à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Alors que les investisseurs étrangers se ruent sur ce nouveau "petit cheval" des économies asiatiques, la visite du président George Bush, en novembre, sur fond de reproches en matière de droits de l'homme, dans un pays qui a emprunté à la Chine sa stratégie de compromis minimum sur le sujet, est un facteur supplémentaire de pression.
Un gros scandale au sein du ministère des transports a fait office de lever de rideau. Le ministre Dao Dinh Binh a démissionné, endossant la responsabilité d'un siphonnage de fonds, notamment en provenance de la Banque mondiale, destinés à des travaux d'infrastructures et qui ont fini – à hauteur de plusieurs millions de dollars – en achats de limousines de luxe et en paris sur des matches de football européens. "Il en va de la survie du régime", a averti, début avril, le secrétaire permanent du comité central, Phan Dien. Le vainqueur de Dien Bien Phu, Vo Nguyen Giap, 94 ans, a lui aussi tiré la sonnette d'alarme. De précédents scandales n'avaient pas abouti à de tels remous.
Le Vietnam, près de trois décennies après la défaite américaine, surfe sur un taux de croissance économique de 7 % en moyenne depuis des années, de plus de 8 % en 2005. Il est, pour les économistes de Merrill Lynch, "bien plus excitant encore que la Thaïlande ou que quelque autre pays" de l'Association des nations du Sud-Est asiatique (Asean).
Les mutations sociales sont d'autant plus rudes. Si les nouveaux "bourgeois" semblent suivre le chemin de leurs aînés chinois sans se poser de questions, une agitation dans l'industrie est apparue, avec des grèves – notamment dans le pôle de développement qu'est devenue Hô Chi Minh-Ville, l'ancienne Saïgon – touchant des firmes à capitaux étrangers. Des leaders de syndicats "officiels" ont été physiquement attaqués devant une police inerte. Le gouvernement a augmenté de 40 % le salaire mensuel minimum des ouvriers, à 55 dollars, provoquant des interrogations dans la communauté d'affaires étrangère. Les firmes d'Etat ont vu les privilèges dont elles jouissaient réduits, les forçant à entrer en compétition avec le secteur privé.
Bon élève Alors qu'il y a une dizaine d'années, le régime avait pris peur devant les implications de ses premiers efforts en matière de "renouveau" politico-économique, on n'imagine plus aujourd'hui que le Vietnam en vienne à se replier sur lui-même. Les orientations économiques devraient être maintenues. Une certaine application à se présenter en bon élève de la classe devrait même le conduire à adopter des mesures de transparence favorables à son entrée dans l'OMC.
Il reste à trouver les hommes adhoc. Le premier ministre Phan Van Khai, 72 ans, et le chef de l'Etat, Tran Duc Luong, 68 ans, devraient passer la main en 2007. Tout dépendra de qui succédera éventuellement au secrétaire général du parti, Nong Duc Manh, un homme de compromis nommé en 2001, mais que les récentes "affaires" ont malmené.
Par Francis Deron - Le Monde - 18 Avril 2006
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