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Sur les rails amers du Vietnam

Théâtre . La pureté de la mise en scène de Gilles Dao donne belle réplique à la sincérité de l’écriture de Duong Thu Huong, interdite de publication au Vietnam.

Prêter du courage à Duong Thu Huong (1) relève de l’euphémisme. Née en 1947 dans le Vietnam du Nord, c’est à quinze ans, en 1967, qu’elle part chanter et ragaillardir les soldats vers les zones les plus dévastées du front contre les Américains. Là, environnée par l’effroi, elle se marie contre son gré et accouchera de deux enfants. Naissent aussi les premiers écrits, mus par l’idée de révolution et de liberté. Et c’est pour répondre à son idéal de justice que Duong Thu Huong adhère au Parti communiste vietnamien. Devenue scénariste après-guerre à Hanoi, alors qu’en 1988 son premier roman De l’autre côté de l’illusion est un succès, Duong Thu Huong, connaît des démêlés avec l’autoritarisme du pouvoir en revendiquant, dans des conférences et articles, le besoin criant de démocratie au Vietnam, où elle pointe la dégradation subie par les intellectuels, la culture. En 1990, le Parti communiste l’exclut de ses rangs, imité par l’Union des écrivains. Suit, sans nul procès, une incarcération de sept mois. Grâce à l’insistance de personnalités occidentales, Duong Thu Huong est libérée. Longtemps assignée à résidence et étroitement surveillée au Vietnam où elle est interdite de publication, elle vit depuis quelques mois en France.

Gilles Dao met en scène son roman les Paradis aveugles (1991), qu’il a adapté avec Philippe Malone. Soit, dans les années quatre-vingt, Hàng, Vietnamienne exilée, travaillant dans une petite ville de Russie. Un télégramme de son oncle malade lui intime de venir à Moscou. Long trajet en train qui creuse un autre voyage, vers l’enfance, cette blessure vivace. Elle germe dans un Vietnam déjà épuisé par la guerre, où la réforme agraire (1951-53) déchire, empoisonne l’histoire familiale de Hàng, dont elle ne saura que fort tard la vérité. C’est très brutalement que Quê, sa mère, fut sommée par son frère Chinh de rompre tout lien avec son mari, paria car propriétaire foncier, qui mourra, malade, dans l’errance. Hàng sera élevée par sa mère, si seule, silencieuse sur le passé, vendeuse ambulante croisant souvent la misère. Hàng ne connaîtra pas tout de suite son oncle qui, robot fasciné, martèle férocement qu’il « faut rester ferme sur la ligne de classe » ; ni la soeur de son père, au ressentiment aigu, qui payera ses études. Sur fond de dénuement, surviendra une rupture violente, quasi irréparable. Avec tout l’aléatoire de la mémoire, les images du passé dans un Vietnam parfois fantasmé, coloré, chaud, mais surtout meurtri, et rongé d’inquiétude, assaillent Hàng dans la froide Russie. L’adaptation fait se succéder des séquences fortes (confrontations à l’autre, au passé...) du roman que lie une matière sollicitant plus les sens, les sensations : recettes - manger, la question reste vive ici ! - chants, slogans, descriptions de paysages...

Sur un plateau rouge dépouillé, avec au fond des piles d’assiettes, la sincérité, la pudeur rare, de l’écriture de Duong Thu Hong trouve belle réplique dans la pureté de la mise en scène de Gilles Dao, servie par des comédiens convaincants. Tout semble régi par une mesure et une empathie fine : alors que surgissent les monologues de Hàng, incarnée par deux comédiennes, l’une mélancolique, fatiguée, l’autre jeune, dans l’abrupt de la vie ; et quand elles se rejoignent, l’une parlant, l’autre murmurant les mêmes mots. En quittant leur présence minérale, où se lit l’aveuglement, la résignation et le gâchis, les corps de tous ces êtres esquissent comme l’arrière-pensée du frémissement de la danse, vite réprimé. Une souplesse, signe de l’insouciance, dont ce n’est jamais l’heure. De la belle ouvrage que ce voyage vietnamien. Loin, loin de l’exotisme.

Jusqu’au 28 octobre au tarmac de la Villette, parc de la Villette 75019 Paris, métro Porte-de-Pantin. Du mardi au samedi à 20 heures, le dimanche à 16 heures. Rés. : 01 40 03 93 95.

(1) Dernier roman paru, Terre des oublis,Éd. Sabine Wespieser.

Par Aude Brédy - L'Humanité - 16 Octobre 2006