~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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Le train-train nocturne du rail vietnamien

Passer la nuit sur les "sièges durs" des trains vietnamiens peut se révéler bien moins infernal qu'on ne le croit. Et bien que pas des plus reposants, le voyage facilite les rencontres et permet d'expérimenter quelques heures à un rythme très local. Lorsqu'on prend des billets de train un peu tard, ou juste avant un week-end chargé, il ne reste plus que des "sièges durs", la classe la plus basse qu'on puisse trouver à bord des trains vietnamiens.

Les "sièges durs" sont faits de lattes de bois horizontales auxquelles on ne peut en effet en aucun cas appliquer l'adjectif "moelleux". Les sièges, qui ressemblent plus à des bancs, sont disposés en carrés, avec un minuscule bout de table près de la fenêtre grillagée, parfois close de stores métalliques absolument impossibles à ouvrir. Une fois installés, tout dépend si le train est vraiment bondé ou non. Mais même lorsqu'il n'y a pas trop de monde et qu'on a la chance de pouvoir se vautrer sur une banquette entière (la place pour 2 personnes assises, sans plus), cela reste un peu chiche pour y passer une nuit vraiment reposante.

Trouver un endroit pour la nuit

Une nuit en direction de Lào Cai le train était plein à craquer, à tel point que nos sièges avaient également été vendus à des vietnamiens qui allaient à Sa Pa participer à des cérémonies religieuses. Non contents d'en avoir pour notre argent (l'aller pour Lào Cai en "siège dur" coûte 72.000 dôngs, soit environ 4 euros), voilà qu'on vient en plus nous exproprier de nos petits coins de bois vernis. Notre seul avantage était de s'être installés les premiers. Avantage des plus relatifs, étant donné que le jeune homme qui avait le même ticket que moi, faisant preuve d'un esprit d'équité aïgu et décidant de rétablir un juste équilibre de la balance, choisit de s'asseoir à la place que j'occupais déjà.

On se retrouvait ainsi à trois, plus mon sac et le grand panier de mon nouvel ami, sur ces "sièges durs" déjà un peu justes pour 2, particulièrement lorsqu'on pense y bivouaquer pour la nuit. Après un quart d'heure de contestations mi-françaises mi-vietnamiennes mutuellement incomprises, il s'en fût de guerre lasse, non sans m'avoir auparavant jeté un regard des plus courroucés.

Assoiffé par ces âpres négociations, je retrouvais dans le wagon "restaurant" 2 amis qui allaient également vers Sa Pa faire un tour de vélo, et nous nous égarâmes dans des discussions sur des voyageurs atypiques, tels Mike Horn, qui a fait le tour du monde par ses propres moyens en suivant constamment la ligne de l'équateur, ou encore l'Indien qui a parcouru des milliers de kilomètres durant des années allongé par terre, en roulant sur lui-même. De retour à ma place, 2 heures plus tard, elle était occupée -quelle surprise - par mon inséparable nouveau compagnon vietnamien. Et les 2 amies avec qui j'étais parti se montraient clairement plus sensibles au comique de la situation qu'au drame qui venait de se produire. Le train étant plein à craquer, le wagon à motos semblait parfaitement acceptable en tant que nouveau paddock, quartier général et plumard improvisé. D'autant plus qu'il y avait dans ce wagon bien moins de monde que dans les autres.

Peut-être parce que la lumière n'y était jamais éteinte, que quelques contrôleurs y discutaient constamment, ou encore que les portes latérales en étaient ouvertes toutes les 20 ou 30 minutes pour laisser entrer ou sortir des motos, des gens, et des marchandises en tous genre. Mais on pouvait au moins s'y allonger, et sur un poncho de pluie, la caboche sur le sac et un couvre-chef sur les yeux il était tout à fait possible d'y passer une bien meilleure nuit que dans l'autre wagon à sardines. Je roupillais déjà lorsque le contrôleur me réveilla, me faisant comprendre qu'il devait ouvrir la grande porte coulissante à ma gauche.

Pour faire rentrer de grands paniers d'osier remplis à ras bord d'oies cacardantes. J'ai vu ma nuit de sommeil s'évanouir au fur et à mesure que les volatiles investissaient le wagon. Une bonne douzaine de paniers contenant chacun 5 à 7 oies étaient plus que suffisants pour définitivement abandonner l'idée de dormir.

Dormir, n'importe où et n'importe comment

Le plus étonnant dans ce train ce sont les gens qui sommeillent comme ils peuvent, c'est à dire absolument n'importe où et n'importe comment. Tout est bon pour trouver une position si ce n'est confortable, du moins autre que debout, et avoir une chance de pouvoir fermer les yeux durant le voyage. Les gens s'allongent sur les petites banquettes lorsqu'ils ont la chance d'avoir 2 places pour eux, ou par terre, tout simplement. Certains dorment les uns sur les autres, le corps tordu comme des siamois dévertébrés. Les jambes repliées contre le buste, conjointement posées sur le siège en face, allongées à la verticale le long du mur ou croisées le long de la fenêtre. De jeunes hommes, des grand-mères, parfois des familles entières reposent sur le sol, sous les carrés de sièges en bois, comme assommés par cette trop grande concentration de monde dans si peu d'espace.

Certains, vite rabroués par un contrôleur, essayaient même de s'allonger sur les barres de fer qui courent le long du wagon au-dessus des sièges et servent normalement à porter les bagages. Chacun se débrouille, fait ce qu'il peut pour trouver une place et voler quelques minutes de sommeil à Morphée plutôt avare vis-à-vis des voyageurs exténués qui s'entassent dans cette atmosphère chaotique et étouffante. Je souhaitais prendre quelques photos discrètement, pour éviter de déranger les quelques athlètes du sommeil qui avaient réalisé le tour de force de s'endormir dans ces conditions extrêmes.

Au lieu de passer comme une ombre, et voler quelques clichés rapides sans que personne ou presque ne s'en rende compte, mon arrivée déclenchait des vagues de bonne humeur incontrôlables. Les gens étaient contents de se faire prendre en photos, faisaient des blagues et rigolaient les uns des autres. Ils me demandaient de tirer le portrait de pauvres grands-mères endormies sous les bancs, réveillées par les hurlements de rire se déclenchant chaque fois que le flash éclatait, et qui souriaient gentiment en papillonnant des yeux ou se cachaient en rigolant lorsqu'elles se rendaient compte qu'elles avaient été victimes d'une machination "humoristique" collective. Rapidement invité à partager quelques verres de ruou (alcool), à boire "tram phân tram" (cent pour cent, signifie cul sec), la nuit s'est poursuivie dans une ambiance très "décontractée", suivant ainsi les exhortations de Baudelaire "pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps", et surtout s'endormir un peu plus facilement.

Par Benjamin Bouin - Le Courrier du Vietnam - 11 Juin 2006