~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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Coup d'œil sur Pleiku - Gia Lai

L'avion de Dà Nang nous dépose dans une région plate qui n'évoque rien des hauts plateaux du Centre, plate forme stratégique des guerres d'Indochine traversée par la fameuse Piste Hô Chi Minh.

La ville de Pleiku, à mille kilomètres au sud de Hanoi, est une surprise pour nous. Poste de milice promu chef-lieu d'une province qui portait le même nom au temps de la colonisation française, Pleiku est devenue, après la libération, la capitale de la nouvelle province de Gia Lai (1991). Il y a 15 ans, c'était une petite ville de la brousse,- couverte de verdure, aux rues étroites où passaient de temps à autres des montagnards vêtus des costumes de leur tribu. Aujourd'hui, c'est une ville de 160.000 âmes avec des rues tentaculaires, des buildings, des shops et très peu d'arbres, une absence de costumes montagnards, bref, comme n'importe quelle agglomération urbaine de plaine. L'écrasante majorité de la population est constituée par les Viêt, alors que les minorités ethniques, qui ne sont pas habituées à la vie citadine, préfèrent la montagne.

Rien ne peut faire soupçonner que Pleiku est le centre administratif et économique de Gia Lai (prononciation vietnamienne de Jarai), province de plus d'un million d'habitants dont 350.000 Jarai (plus de 30%), 140.000 Bahnar (plus de 12%) et le reste appartenant à une trentaine d'autres groupes ethniques.

D'où vient le terme Pleiku, d'origine Jarai ? Il y a 2 versions Jarai à ce sujet. La première en attribue l'origine à un incident survenu au cours d'un mariage. Il était une fois au village Brel, après un mois de séjour du marié dans la famille de sa femme, la famille du marié invita selon la coutume les parents de la mariée à un festin où tout le village était invité. Les jeunes gens furent chargés de tuer et de griller le porc de sacrifice. Ils en profitèrent pour avaler une bonne partie de viande, ne ménageant même pas la queue. À la cérémonie du sacrifice, le chaman s'aperçut de la perte. Il n'officia pas et ordonna un second porc. Cette fois, les étourdis poussés par la faim commirent la même faute. Il fallut recommencer, la cérémonie ne put avoir lieu que le soir. En souvenir de ce blasphème honteux, les anciens ont baptisé leur village du nom Pleiku (Plei = village + Aku = queue) pour donner une leçon aux jeunes.

La deuxième version rappelle une lutte pour le pouvoir. Au cours d'une fête de village organisée après le sacrifice du buffle en l'honneur du Yàng (Ciel), les 2 fils du chef de tribu se disputèrent la queue de l'animal. Le vainqueur qui eut l'honneur de succéder à son père appela son village plei de aku (Pleiku). Parmi les minorités ethniques, les Jarai occupent une place prépondérante par leur nombre et leur habitat qui fait communiquer le Nord et le Sud du Tây Nguyên. Ils sont de souche austronésienne tandis que les Bahnar relèvent de la famille ethnolinguistique austrasiatique. Leur cellule sociale commune est le village (plei, pelei en bahnar, plei en jarai), toujours proche d'une source.

Dans un village Jarai, toutes les maisons, sur pilotis, s'étirent dans la direction nord-sud. Par contre, celles du village Bahnar qui ne s'ouvrent pas vers l'ouest sont plutôt éparses et s'orientent selon la configuration du terrain le long d'un torrent ou à mi-côte, toujours, tournées vers le village si c'est construit sur un terrain plat à sa lisière. Toutes les activités sociales et religieuses se déroulent dans la maison communale appelée rông. Le culte animiste adore un vague pouvoir surnaturel, le Yang (Ciel) qui se matérialise par des génies dont les plus respectés chez les Jarai sont Yang sang (Génie de la maison), Yang bôn (Génie du village), Yang pin ia (Génie de l'endroit de la source où l'on va chercher l'eau), Yang petao (roi du feu et de l'eau); pour les Bahnar, ce sont Bok Kei Dei (Génie masculin) et Ya Kung Ke (Génie féminin) qui créent l'univers, Bok Glaih (Eclair et Tonnerre), Yang Hri (Riz et Foyer), Yang Dak (Eau)... Les âmes des morts deviennent des atâu (esprits) qui grossissent les rangs des esprits (des plantes, des animaux, des matières...).

Le catholicisme qui a fait son entrée au Nord du Tây Nguyên, dans le Kon Tum, dans la 2e moitié du 19e siècle, a gagné Gia Lai au début du 20e siècle (en 2003, 75.000 fidèles dont 25.000 de souche ethnique minoritaire). L'église évangélique, introduite dans la 2e moitié du 20e siècle, conquiert assez facilement des fidèles parmi les autochtones (70.000 en 2003) grâce à la simplicité de ses rites et à son organisation peu rigoureuse. L'anti paga- nisme chrétien, la révolution, la guerre et le mode de vie moderne ont porté des coups rudes aux riches cultures ethniques du Tây Nguyên que l'UNESCO vient de consacrer en reconnaissant l'Espace culturel des gongs du Tây Nguyên comme un patrimoine intangible magnifique de l'humanité. Mme Y Nga Niêtdam, présidente de l'Association des lettres et des arts de Dak Lak, nous confie : "Vous ne pouvez imaginer combien, il nous est difficile, face à la modernisation incontournable, de préserver et de recréer cet espace culturel sacré".

Les Viêt, ethnie majoritaire du Vietnam, comptent 600.000 âmes au Gia Lai (52% de la population), élément dynamique de la province. À part 50.000 catholiques et 1.000 évangélistes, le reste est plus ou moins bouddhique. À Pleiku, nous avons admiré l'immense pagode Minh Thành dont la construction va être achevée sur un terrain de 4.000 m². Des bâtiments majestueux, une tour de 70 m à étages, 500 arhats en bois, d'énormes bouddhas en bronze, un mariage de styles vietnamien, chinois et japonais. L'auteur et le maître d'œuvre de ce joyau architectural au coût de 6-7 millions de dollars, qui se veut être l'une des pagodes les plus imposantes du pays, est le Bonze supérieur lui-même. Trente ans, ouvert, jovial et spirituel, érudit doué de bon sens pratique, Thích Tâm Man a fait des études de lettres au pays avant de suivre pendant 4 ans des cours d'art à Taïwan. Nous gardons de lui le souvenir d'une conversation amicale et intéressante dans un petit kiosque de jardins où il nous a servi à boire en théiste raffiné.

Par Huu Ngoc - Le Courrier du Vietnam - 13 Août 2006