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Ces «Ouled lmgharba» qui continuent de vivre au Vietnam

Les années passent, la guerre est finie en Indochine en 1954, les soldats marocains sont «oubliés» presque vingt ans. Une centaine de familles, leurs femmes vietnamiennes et leurs enfants débarquent à la base militaire de Kénitra en janvier1972.

Sous le protectorat français, des dizaines de milliers de jeunes, âgés la plupart entre15 à 25 ans, sont mobilisés malgré eux ou engagés volontairement dans l'armée française. Majoritairement d'origine rurale et recrutés sur l'ensemble du Royaume, ces hommes ont été enrôlés pour faire la guerre d'Indochine (1946 à 1954), comme d'autres Marocains avaient été recrutés pour faire la seconde guerre mondiale.

Mais ce conflit en Indochine réserve à des centaines d'entre eux une destinée particulière. Nombreux désertent le camp français pour rejoindre celui des Vietnamiens. Les raisons sont multiples: certains sont emprisonnés, d'autres sont outragés par la déportation de Mohammed V à Madagascar.

En 1954, la guerre est finie en Indochine. Après l'indépendance des pays, les Algériens, les Tunisiens ou encore les Syriens rentrent chez eux sauf les Marocains. Le temps défile, ces combattants font leurs vies: ils obtiennent l'autorisation d'épouser des Vietnamiennes et vivent regroupés dans des camps villages; la plupart deviennent fermiers, apprennent à lire et à écrire le vietnamien. Mais ils ne perdent pas espoir et recherchent le moyen de regagner le Maroc. Ils protestent, mènent des grèves pour être rapatriés, essaient de prévenir de leur existence à travers des ambassades étrangères.

Pourtant, ils demeurent près de vingt ans dans ce pays asiatique. Les raisons réelles de cet «oubli» restent vagues. Pour certains, la guerre américaine, la mort de Sa Majesté Mohammed V ou l'interdiction de quitter le territoire vietnamien auraient freiné maintes fois leur rentrée. Peut-être, le Maroc ne connaissait pas l'existence de ces gens! Selon des propos recueillis dans la presse, Allal Al Fassi comme Ali Yata auraient été informés.

Ce n'est qu'en janvier 1972, ces Marocains, leurs femmes vietnamiennes et leurs enfants débarquent à la base militaire de Kénitra. Regroupés en plusieurs familles, ils choisissent d'habiter Agadir, Oujda, Rabat ou encore Kénitra et reçoivent des postes dans l'administration ou des fermes de 6 à 7 ha avec une pension de 450 dirhams.

«Ils restent encore Ouled lmgharba au Vietnam», affirme May, fille d'un Marocain qui a participé au conflit. Et d'ajouter: «nous n'avons pas été tous ramenés». Dix personnes, ayant perdu leurs pères dans la guerre d'Indochine, n'ont pas été enregistrées et «récupérées» par les autorités marocaines en 1972.

Le journal Le Matin publie la liste avec la transcription vietnamienne de ces personnes et les photographies de quelques- uns. Il s'agit de Ali Ben Mohamed, Abdellah Ben Mohamed, Boujemah Ben Mohamed; fils de Mjid Ben Mohamed. Il y a aussi Coco Ben Mohamed, Bouchaïb Ben Mohamed, Mesoud Ben Mohamed, leur père est Sid Ben Mohamed. Ces derniers ont la même mère, (elle s'est mariée avec deux Marocains), que Habiba Ben Mohamed Ben Hissa et Tamou Ben Mohamed Ben Hissa. Leur père est Mohamed Ben Hissa. Il y a aussi Mohamed Ben Hamon et Leïla Ben Hamon, enfants de Hamon Ben Mohamed. Attachés à leur marocanité, ces «Marocains» considèrent qu'ils sont en droit de vivre au Maroc et ne comprennent pas pourquoi « leur pays ne les a pas récupérés». Ces fils de militaires n'ont pas la nationalité vietnamienne soumise à une législation aussi stricte que la marocaine. Contactée par le Journal Le Matin, la Direction des affaires consulaires et sociales du ministère des Affaires étrangères s'est montrée «optimiste» pour régulariser leur situation, notamment avec la nomination récente de Houssein Ferdani, comme ambassadeur au Vietnam. Il faudrait qu'ils confirment leurs filiations à travers les actes de naissance et/ou de mariage des parents enregistrés à l'état civil vietnamien.

A rappeler que selon le code marocain, tout enfant né d'un père marocain a la nationalité marocaine et tout enfant né d'une mère marocaine et d'un père inconnu est considéré marocain. Par ailleurs, la communauté maroco-vietnamienne relève la situation de deux Vietnamiennes veuves et sans enfants, qui ont accompagné leurs maris en 1972, et qui souhaiteraient que le Maroc les rapatrie. Dinh Thi Mung, épouse de Mfdal Ben Hmed Bakkali habite depuis des années chez une famille métisse dans une ferme à Sidi Yahia du Gharb.

Tandis que Nguyen Phi Tan, épouse de Benaouis a été conduite par une métisse en 2002 à la «Maison des vieillards» à El Jadida. Selon Fatima Fawaid, directrice de cette association caritative, Nguyen qui est née en 1930, souffre d'une fracture au dos depuis 2003 et doit rester couchée sur un matelas électrique. «On doit lui changer trois fois par jour les couches. Nous avons des difficultés pour communiquer avec elle car cette vieille dame ne parle pas darija. Elle reçoit rarement des visites, une fois par an, d'une famille métisse», ajoute Fatima.

Par Latifa Benali - Le matin (.ma) - 11 Février 2006


Les enfants métisses racontent leurs vies

El Fakir May, ou Rkia

Née le 5 octobre 1966, El fakir May ou Rkia a six ans quand elle fait le voyage avec ses parents. Elles sont trois filles nées au Vietnam et sept autres sont nées dans leur ferme à Sidi Yahia du Gharb. Sa mère, Nguyen Hién Gai est une Vietnamienne âgée de 24 ans alors, la plus jeune maman du groupe. Le Maroc leur octroie un terrain de six hectares et une pension de 450 dirhams. En 1975, son père est sollicité par le gouvernement pour distribuer les aliments pendant la Marche Verte. A l'âge de 48 ans, il y a vingt ans, El Fakir Houarri meurt et laisse une veuve, âgée de 36 ans et 10 enfants.

Les premiers souvenirs de Rkia, sa fille aînée : un père très sollicité pour soigner les malades de la région; les médecins de Kénitra se plaignent auprès des autorités car il n'a pas de diplôme pour exercer. Sa notoriété croissante provoque des jaloux : les gens affluent pour se faire traiter par le toubib chinois. Il a acquis une grande expérience en médecine, étant «aide médecin, une sorte de chef infirmier», en Indochine. «C'est lui qui accouchait maman», affirme sa fille. Selon ses dires El Fakir est engagé dans les années cinquante par l'armée française, envoyé en France pour se «former» et expédié en Indochine. Son numéro de matricule est 15 000 ; il faisait partie du 2e bataillon et de la 10e compagnie de son régiment.

D'autres choses lui reviennent à l'esprit. Elle se réveille à 5 heures du matin pour aller à l'école, qui se trouve à 8 kilomètres de chez elle et elle doit rester à midi manger n'importe quoi. Des connaissances de son père proposent de l'héberger. Mais May se retrouve entrain de laver la vaisselle, le parterre, le linge, etc. Elle n'a plus le temps pour étudier. Un jour, son père la découvre plongée dans ses travaux ménagers. Il préfère plutôt louer pour ses enfants une chambre sans eau ni électricité. Houarri vient une fois par semaine leur rendre visite. Parfois, il leur donne 5 dirhams pour acheter une lampe à gaz; la plupart du temps, ils doivent se contenter d'une bougie pour étudier essayant d'économiser en l'utilisant plusieurs fois. Elle se rappelle aussi du travail ardu de la ferme, les enfants Al Fakir aident à labourer les champs, la famille ne peut pas recruter du personnel, plusieurs saisons difficiles se succédèrent sans pluie. A des moments pareils, son père pense au VietNam : «N'était-il pas mieux assisté là-bas?» Mais le Maroc lui manquait tellement. May retient aussi des instants où elle travaille à gauche et à droite pour aider sa famille à survivre. Ses frères et soeurs ont aujourd'hui une situation stable.

Quant à May, elle gère depuis 5 ans un magasin de produits et articles asiatiques à Casablanca. Mariée à un Marocain non métisse, elle a une fille de 20 ans qui refusait d'apprendre le vietnamien car on la taquinait. Des différences avec son mari ? Il trouve exagérés ses goûts culinaires. « Je choisis toujours un restaurant asiatique pour manger et je cuisine du riz midi et soir», explique-t-elle. L'année dernière, elle a visité pour la première fois le Vietnam pour commémorer des souvenirs vagues. Un beau voyage, qu'elle n'est pas prête d'oublier. Souvent, elle pense à son père, à son enfance et ne comprend pas pourquoi sa famille a autant enduré au Maroc.

Hoa, (rose) ou Fatima

Elle arrive à l'âge de trois ans avec son père, sa mère vietnamienne, son frère et ses trois sœurs à Kénitra en 1972. La famille s'agrandit au Maroc avec la naissance d'un garçon et d'une fille. Son père, Mohamed Laouifi Benjelloun, a vécu pendant 23 ans en Indochine. Né en 1923 dans un douar à Ouazzane, dès son retour, il recherche ses parents sans résultat. Ils ont quitté la région croyant que leur fils est mort. Laouifi s'installe dans une ferme près de Kénitra, voisin de six autres familles métisses. «Cette proximité soulage beaucoup maman, papa, mes frères et mes soeurs. Nous logeons à côté de gens qui vivent une situation semblable. Nous célébrons aujourd'hui les fêtes ensemble», explique Hoa. Née au Vietn am en 1969, de sa vie au Maroc, elle a appris à «unifier» les deux cultures étant musulmane comme Marocaine et Vietnamienne quand il s'agit de cuisiner, de bosser et de «subsister» avec un caractère franc.

Elle a ouvert un restaurant asiatique à Casablanca avec son petit frère depuis trois ans. Mariée, divorcée avec un garçon de 17 ans, elle s'est remariée à un autre Marocain non métisse. Son fils parle sa langue maternelle mais petit, il la «grondait» quand elle conversait avec lui, en vietnamien dans la rue. Fatima ne lui en veut pas et comprend ce qu'il ressent. Elle se souvient quand les enfants se moquaient d'elle et de ses camarades métisses à l'école, les surnommant les Chinois. «C'est gênant», sourit-elle. Comme ses frères et ses sœurs, elle ne parle pas à cette époque darija et apprend par cœur ses devoirs en arabe classique. «Nous étions toujours les premiers de la classe», précise Hoa. L'été dernier, elle visite pour la première fois le Vietnam.

«Je me suis sentie chez moi. Pour les gens, j'étais 100% vietnamienne». Quant à sa mère Ngnyên Thi ôé, elle n'est jamais retournée au Vietnam, elle a revu un frère après 33 ans d'absence lors de sa visite au Maroc en août dernier.

Abdelatif ou Thang (victoire)

Le frère de Hoa est né au Maroc en 1973. Son enfance n'est pas différente de sa sœur sauf qu'il réagit quand on le traite de Chinois. A l'âge de 12 ans, son père l'inscrit au karaté pour apprendre à se défendre. «Quand je parle, les gens ne comprennent pas si je suis doukkali ou chinois. Et lorsqu'un policier m'arrête, voit ma tête et ma carte d'identité, il éclate de rire», indique Abdelatif. Il n'a pas vraiment de problèmes pour s'adapter à la vie marocaine. Pour lui, il faut juste « bosser» et trouver la femme de sa vie. Thang préfère les Marocaines, les métisses sont comme des sœurs, même si elles le font souffrir.

«Quand tu es trop sentimentale, tu es foutu avec les Marocaines. Il ne faut pas tout leur avouer, être franc et directe: elles ne t'acceptent pas. De ce côté-là, je suis plutôt vietnamien que marocain», pense Thang. Il y a 15 jours, son père est mort à l'âge de 84 ans, suite à la maladie d'Alzheïmer. Il signale que son père ne parlait jamais de politique. Mais qu'à la fin de sa vie, il aimait relater ses batailles, des moments vécus là-bas. Il montre les médailles que Mohamed Laouifi a ramenées de l'Indochine. Il aurait été fait prisonnier par les Vietnamiens pendant des années. Selon son fils, après la guerre, son père libéré, un certain colonel Maârouf et Ait Bih Ahmed, sont devenus les plus proches collaborateurs marocains du président Hô Chi Ming.

C'est ce dernier qui anime la lutte armée contre la France et devient Président de la république démocratique du Vietnam du Nord en 1954. Cependant Mohamed Laouifi, qui est rentré au Maroc avec le grade de colonel, a obtenu de la France en 1982, une carte comme ancien combattant et victime de guerre. Il est enregistré sous le numéro de 162.441 de la part de la préfecture La Gironde. Abdellatif se souvient surtout de la belle histoire d'amour de son père avec sa maman. Quand il avait ses crises, il ne se rappelait pas de ses enfants mais de sa mère, jusqu'au dernier instant de sa vie. Pendant ses 34 ans au Maroc, Mohamed Laouifi n'a jamais dormi à l'extérieur de sa terre, un havre de paix qu'il adorait. Il est parti sans exaucer son vœu: devenir le propriétaire de sa ferme qui appartient toujours à l'Etat.

Par Latifa Benali - Le matin (.ma) - 11 Février 2006