~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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Les nouvelles Vietnamiennes

Gracieuses sur leur moto, le rouge aux lèvres, les sandales à talon aux pieds, en pantalon de soie ou en jean et t-shirt moulant: les Vietnamiennes de Hanoi ou Hô Chi Minh-Ville ont l'air de jeunes femmes modernes, dans un pays où l'économie se libéralise à vitesse grand V. Mais le prix du féminisme est encore élevé dans une société toujours très machiste, surtout loin des villes.

La République socialiste du Vietnam est un pays de contrastes, entre tradition et modernité, comme bien des pays en voie de développement. Il faut dire qu'ici, la moitié de la population a moins de 20 ans! Le «Pays du dragon» a par ailleurs un taux de croissance économique fulgurant depuis les années 90. Autant dire que la révolution est en marche. Pas celle du communisme, non, mais plutôt du... capitalisme! Les Vietnamiens eux-mêmes le disent: ils vivent dans un pays «communiste libéral». La loi du marché devient aussi importante que les enseignements de Confucius. Les jeunes ont l'avenir devant eux, et il pourrait bien se traduire en un mot: émancipation.

«Les conflits de générations commencent», note Luce Cloutier, chargée à Hanoi du programme de lutte contre la traite des humains pour Oxfam Québec. «Les jeunes Vietnamiens, filles comme garçons, ont envie de vivre autre chose, de voyager, d'avoir une vie différente qui ne soit pas dirigée par la famille et soumise au poids de la tradition.» Ce n'est pas une mince affaire dans une culture où les relations sont toujours très cloisonnées. «Soyons honnêtes: les hommes sont encore très machos et les femmes soumises. Et il est courant pour les Vietnamiens d'avoir une maîtresse.» Dans les bars karaoké à la devanture fumée, les hommes ne font pas que pousser la chansonnette et les attentions des serveuses ne se traduisent pas seulement par de la courtoisie verbale... Mais la prostitution est interdite au Vietnam, bien sûr!

Si la société change peu à peu, du fait de sa jeunesse, les femmes pourront-elles prendre une place plus importante? «Actuellement, elles font énormément de choses: elles travaillent, elles s'occupent de la famille au sens large, c'est à dire des enfants mais aussi des parents et beaux-parents, et pourtant leur rôle dans la société est encore secondaire. Une chose est sûre, elles sont épuisées!» poursuit Luce Cloutier.

Et qu'arrive-t-il aux jeunes filles «recrutées» dans leur village pour aller travailler en Chine ou au Cambodge, avec la promesse d'un avenir meilleur? Sans forcément tomber dans la prostitution, elles deviennent au mieux des esclaves modernes, sans droits ni salaire décent, sans papiers, dans un pays qui n'est pas le leur; si elles arrivent à s'échapper pour rentrer chez elles, démunies, elles seront probablement rejetées par leur famille rongée par la honte.

Le prix de la liberté

Il est plus facile pour une citadine de s'en sortir. Dans les villes, il n'est plus si rare de voir des jeunes femmes parler des relations hommes/femmes sans tabou. Il suffit d'écouter Pham Kieu Phuc, une jeune entrepreneure de 36 ans qui a créé sa société d'exportation de produits artisanaux et de stylisme (www.dongphuonghouse.com). Son parcours ressemble à bien des égards à celui d'une Occidentale, mais elle vit au Vietnam, ce qui change beaucoup de choses: «Je suis styliste par passion. Je crée des vêtements inspirés par les minorités ethniques du Vietnam. Les femmes des montagnes font des broderies merveilleuses, et d'ailleurs, j'ai créé un atelier avec les femmes de Sapa, dans le nord du pays. Je fais aussi du design de meubles», raconte Phuc, qui s'exprime dans un français presque parfait, appris pendant cinq ans à l'université d'Hanoi.

Et sa vie affective, à quoi ressemble-t-elle? «Dans mon milieu, je suis un peu marginale parce que j'ai une petite fille de 6 ans que j'ai eu avec un homme de 32 ans mon aîné, sans être mariée». Son conjoint l'a quittée lorsqu'elle était enceinte. Depuis, pas d'homme dans sa vie et elle ne semble pas s'en plaindre car, dit-elle, cela lui confère une plus grande liberté de faire ce qui lui tient à coeur. Cette simple vision des choses est tout un défi dans un pays comme le Vietnam!

«Je crois que je suis trop Occidentale pour les Vietnamiens et trop Vietnamienne pour les Occidentaux!» lance Phuc avec humour. «J'ai plus de liberté mais plus de difficultés aussi. Il faudrait que je cache le fait que j'ai une fille si je voulais avoir une relation avec un homme. Et ça, je ne le veux pas. De toute façon, tout est plus compliqué pour la femme, ici. Neuf fois sur 10, tu tombes sur un homme trop autoritaire qui t'empêche d'être autonome.» À moins de rencontrer un Occidental qui acceptera facilement la situation. C'est souvent ce qui redonne le goût d'une relation aux mères célibataires, ou à celles qui ont mis de côté leur vie de femme pour s'occuper de leur famille.

Pas de bisous en public

Gilles Boutin, un autre Québécois travaillant pour Oxfam, en sait quelque chose: installé à Hanoi depuis de nombreuses années, il a épousé une Vietnamienne. Elle travaille à l'ambassade du Canada et lui a simplifié bien des démarches administratives - toujours compliquées au Vietnam - lorsqu'il est arrivé. Elle était alors dans la quarantaine et ne s'était jamais mariée. Sa famille a mis du temps à accepter son mari «blanc». «C'est aujourd'hui plutôt bien vu de se marier avec un Occidental mais il y a quelques années encore, c'était tout un défi pour une femme vis à vis de sa famille!», explique Gilles Boutin. Pas question d'avoir des gestes tendres ou de s'embrasser en public, par exemple.

Nguyen Hoai Thu, 43 ans, a elle aussi choisi un «Blanc». Agente de voyages, elle a épousé le Canadien Wayne Sjöthun, originaire de Vancouver et qui possède le Cafe Thyme, dans le coeur du vieux Hanoi. «Je n'étais pas heureuse avec les hommes vietnamiens», dit-elle. «J'ai été mariée à un médecin qui me voulait soumise. Moi, je voulais aller à l'université, apprendre le français, voir la vie! Lui voulait que je travaille dur, que je reste à la maison et que je sois là quand il rentrait.» Elle est restée mariée huit ans. «C'était très difficile de décider de partir, par rapport à ma famille et à la sienne», reconnaît-elle. Son ex-mari a retrouvé une femme, tandis que Thu a aujourd'hui deux petites jumelles avec son époux canadien. «Les Vietnamiens veulent de grandes familles vivant dans de grandes maisons, moi je veux découvrir des choses, aller à l'opéra ou au cinéma quand je veux, voir mes amies», dit-elle.

«Aux femmes de changer ça»

Luce Cloutier croit à la détermination des Vietnamiennes pour acquérir un statut plus égalitaire. «Il n'y a qu'elles qui pourront changer ça, en discutant entre elles, en imposant peu à peu leur point de vue face aux hommes», songe-t-elle. Mme Tran, 46 ans, fiscaliste au gouvernement, a connu son mari à l'université et coule avec lui des jours heureux, sans vagues, dit-elle. Sans doute est-ce parce qu'il n'a pas voulu la confiner à la maison. Avec fierté, elle raconte que leur fils de 19 ans est parti étudier aux États-Unis. Elle a économisé pour cela et ne nie pas le fait que bien souvent, les mères poussent davantage les garçons pour qu'ils fassent de longues études, idéalement en Occident. Mme Tran est pourtant une exception en la matière. Elle a pu apprendre le français à l'Alliance française d'Hanoi et à la maison, car son père avait vécu en France. Lorsqu'elle a reçu une bourse pour aller étudier à Paris plus d'un an, elle n'a pas hésité à laisser son fils en bas âge pour saisir cette chance; elle le lui rend aujourd'hui en lui permettant d'étudier en Amérique.

Treize mois de séparation, c'est énorme... mais imaginez presque 18 ans! C'est ce qu'ont vécu les parents de Mme Tran, une situation impossible à concevoir aujourd'hui. «En 1939, mon père est parti travailler en France. Il y est resté jusqu'en 1956. Ma mère n'a pas eu de nouvelles pendant tout ce temps mais elle est restée fidèle à son mari. Quand mon père est revenu, c'était comme s'il était parti la veille.»

Les temps changent, bien sûr, et toutes ces femmes qui luttent pour une égalité réelle entre les sexes, qui sont ouvertes au monde sans renier le meilleur de leurs traditions, vivent un tournant dans leur culture et leur vie sociale. Les femmes des campagnes vietnamiennes n'en sont pas encore là, elles. Pas plus que celles qui ont arrêté l'école tôt, dans les villages comme dans les villes. Vaillantes ouvrières (elles travaillent de 12 à 14 heures par jour), ce sont elles que l'on voit draguer de lourdes charges de sable dans les rivières, s'occuper des travaux publics dans les rues ou repiquer le riz le dos courbé à longueur de journée. Et pendant la guerre du Vietnam, ce sont des femmes que l'armée avait enrôlées, au péril de leur vie, pour reconstruire au fil des bombardements la piste Hô Chi Minh qui traverse le pays sur 2000 km de long. Frêles mais fortes, les Vietnamiennes. À tout point de vue.

Par Véronique Couzinou - La Presse (.ca) - 3 Juillet 2006