Au Vietnam, l'économie de marché est entrée dans les moeurs et les faits
Le Xème congrès du Parti communiste vietnamien (PCV), qui s'ouvre mardi, intervient vingt ans après l'abandon du collectivisme et l'ouverture au capitalisme, une transition laborieuse et inégalement partagée mais que plus personne ne remet en cause.
Les débats font rage sur la distribution des postes-clés, mais nul ne conteste l'économie de marché. Le PCV va même officiellement autoriser en son sein les entrepreneurs privés, s'alignant sur une réalité qui a pris corps depuis plusieurs années déjà .
"Il y a toujours beaucoup d'ambivalence à l'égard de ceux qui réussissent en affaires, et qui courent le risque d'attirer l'attention des autorités fiscales", souligne Martin Gainsborough, chercheur Britannique à l'université de Bristol.
"Mais il est admis que le succès du développement du Vietnam dépend de l'entreprenariat privé".
Au regard de la situation du pays il y a vingt ans, le chemin parcouru est notable.
Dans les années 80, le pays est dans un état désastreux. L'inflation atteint les 1.000% en 1988, plongeant trois millions de paysans au bord de la famine. Beaucoup de produits de base sont rationnés, la manne venue du bloc de l'Est est en passe d'être coupée et l'économie informelle échappe au contrôle de l'Etat.
Dans le nord, les riches sont des ennemis du peuple.
"On décapite les poulets la nuit pour que le voisin ne s'apercoive pas qu'on est suffisamment riche pour manger de la viande", se souvient Philippe Papin, historien à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Pressé de sortir de la crise, le PCV adopte pendant son VIè congrès, en 1986, la politique de la "Doi Moi" (renouveau). L'économie de marché est reconnue, l'initiative privée autorisée, le commerce rétabli.
Les premiers signes tangibles se font sentir au milieu des années 1990. A partir de la levée de l'embargo américain, en 1994, les investisseurs étrangers reviennent. Les premières voitures occidentales et quelques produits de luxe font leur apparition.
Ce n'est qu'après la crise asiatique, au début des années 2000, que l'économie privée et la réussite deviennent des valeurs d'exemple. "L'ostentation est un phénomène récent. La voiture, les beaux vêtements, les bijoux datent des années 2000", souligne Philippe Papin.
Aujourd'hui, le pays affiche une croissance de plus de 7% par an depuis cinq ans. Le niveau de vie dans les villes explose et le taux de pauvreté est passé de 58,1% in 1993 à 19,5% en 2004.
En cinq ans, selon la Banque asiatique de développement (BAD), les deux-tiers des 5.600 entreprises d'Etat ont été restructurés. L'an passé, plus de 38.000 entreprises ont été créées.
Mais si ces succès sont fièrement vendus par le parti, la population regarde aussi la corruption galopante, l'écart gigantesque entre riches et pauvres, l'exclusion des laissés pour compte.
Les Vietnamiens qui voyagent en Asie ne comprennent pas comment la Malaisie ou la Corée du sud peuvent avoir autant progressé.
Et de nombreuses voix s'élèvent pour dire que les vingt prochaines années devront être plus décisives encore que les vingt précédentes, avec notamment l'admission dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
"La réforme la plus difficile fut l'adieu à l'économie centralisée et aux mécanismes bureaucratiques", estime l'économiste Le Dang Doanh. "D'autres difficultés ont émergé désormais, telles que l'intégration économique internationale et l'établissement d'un Etat de droit dans lequel tout doit être transparent".
"Notre capacité à maintenir la bonne santé de l'économie dépend de la rapidité des réformes à l'avenir", résume-t-il.
Agence France Presse - 17 Avril 2006
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