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Un monument marocain en détresse au Vietnam

C'est étonnant de voir un ambassadeur s'adresser à un journal pour lancer un appel au ministère de la Culture ! Pourtant c'est ce qui s'est passé. En effet, le chef de la délégation diplomatique marocaine à Hanoi s'est personnellement déplacé à notre rédaction pour nous parler d'un monument qui a une portée historique et symbolique pour le Maroc, le Vietnam et la France. Une porte, construite dans le pur style marocain dans le village de Yen Bai à 160 km au nord de Hanoi, menace ruine.

Derrière cette information, toute une histoire. Pendant «la guerre d'Indochine» (1946-54), des soldats marocains, algériens et sénégalais du corps expéditionnaire français en extrême orient, par un élan de solidarité avec le peuple qui se battait pour une juste cause, ont déserté l'armée coloniale pour rallier le Vietminh. Sur ordre de Ho Chi Minh, ces hommes de valeur ont été regroupés dans un kolkhoze (coopérative agricole) au pied du mont Ba Vi à Son Tay où ils ont vécu, se sont mariés avec des Vietnamiennes et ont eu des enfants.

Entre 1956 et 1960, les Marocains et Algériens ralliés ont construit une porte à l'entrée du village «Afrique-Europe» à Ba Vi. Cette porte est une reproduction fidèle du style classique marocain dans les villes impériales avec des arcs de piliers et des frises sculptées. En 1965, la majorité de ces Marocains ont été déplacés à Yen Bai alors que les Algériens et les Sénégalais ont été rapatriés dans leurs pays. Après ce recasement, et suite aux bombardements américains de la localité de Ba Vi, la porte a été abandonnée et même oubliée. Surtout après le rapatriement des Marocains en 1972.

A l'origine de cette affaire, Nelcya Delanoë, historienne de l'université de Nanterre, née au Maroc dans une famille qui a toujours défendu le droit du Royaume à l'indépendance. En Effet, son père Guy Delanoë était président du mouvement «Conscience française», et signataire de «La lettre des 75» demandant le retour de feu S.M. Mohammed V de son exile à Madagascar. Il n'est donc pas étonnant de la voir défendre la sauvegarde du seul monument qui témoigne d'une histoire commune au Maroc, au Vietnam et à la France. «Poussières d'empires»* est le titre du livre de Nelcya Delanoë. Elle l'a écrit suite à une enquête qu'elle a réalisée dans ses trois pays, notamment dans les archives de l'armé française et celles du Quai D'Orsay.

Elle a pu recueillir les témoignages des Marocains rapatriés, trouver les documents officiels et a fait des recoupements avec les autorités vietnamiennes pour pouvoir localiser cette fameuse porte ; surtout après l'effet dévastateur de la guerre américaine contre ce pays. Pour conserver cette mémoire, elle a lancé une pétition qui a été signée par plusieurs intellectuels des trois pays afin de pouvoir mettre en valeur une œuvre qui, à elle seule représente à la fois la liberté, la solidarité entre peuples colonisés, et la reconnaissance pour un accueil généreux et désintéressé. Rebaptisée «Porte du Maroc», cette construction est dans un état de délabrement dû aux intempéries et à la végétation. Notre ministère de la Culture est vivement sollicité pour apporter son soutien moral, matériel et humain afin de mener à bien cette entreprise de restauration et de sauvegarde d'un symbole aussi poignant de notre histoire au XXe siècle.

Par Mustapha Bourakkadi - Le Matin (.ma) - 7 Octobre 2006