La louve qui agace le pouvoir vietnamien
Certains l'appellent «la Soljenitsyne vietnamienne», elle
préfère s'appeler «une louve solitaire»: Duong Thu Huong,
romancière du Vietnam est en vérité ceci et cela à la
fois. Résistante acharnée contre les Américains pendant
la guerre, elle se transforme en militante dissidente
après la libération. Ces deux périodes de son existence
sont souvent évoquées dans ses livres, dont plusieurs ont
été traduits en français.
«A vingt ans, écrivait André Malbraux, la vie est comme
un marché où l'on achète les valeurs non pas avec de
l'argent mais avec des actes». C'est précisément à cet
âge-là que Duong choisit de participer activement, aux
côtés des hommes, à une guerre féroce, longue,
impitoyable et ruineuse, imposée par un impérialisme sans
foi ni lois. Ses écrits dépeignent un univers cruel et
grinçant, jalonné de larmes et de sang: les hommes errent
dans les tranchées, deviennent fous, malades, amputés,
napalmés, les femmes accouchent seules, à même le sol, se
font violer, bâillonner, crapuleusement tuer.
Militante convaincue jusqu'à la moelle, Duong Thu Huong
tourne brusquement casaque le jour où elle constate que
les soldats nord-vietnamiens tuaient aussi des
Vietnamiens du Sud, ses compatriotes et frères de sang.
La dictature du Parti communiste auquel elle appartient
fit le reste. La voici devenue la plus grande dissidente
du régime, son principal pourfendeur et sa mauvaise
conscience. Ses attaques frontales et sans ménagement des
«bévues du système» lui ont valu, à la fin, non seulement
d?être expulsée du Parti, mais aussi de connaître la
prison et d'être assignée à résidence.
Après sept mois
passés «à l'ombre», elle vit aujourd'hui en résidence
surveillée, suivie de près, confinée dans une solitude
presque totale. Sous la pression étrangère, les autorités
vietnamiennes lui accordent parfois une autorisation de
séjourner pendant quelques jours à l'étranger. Le
gouvernement, qui veut s'en débarrasser, ne lui interdit
pas d'aller vivre ailleurs, mais la «louve solitaire»
préfère rester dans son pays et continuer à «cracher au
visage du pouvoir», affirme-t-elle dans une interview à
un journal français : «Je choisis de rester au Vietnam
pour jouer la partie qui me plaît. Je résiste en
marginale, soutenue par la lutte des bouddhistes, des
catholiques, des protestants qui défendent les captifs et
les prisonniers politiques. On m'insulte, on me calomnie,
on me jette en prison, mais je continue, j'écris, je
parle, je vois qui je veux. Nous devons prendre notre
destin, si douloureux, en mains», ajoute-t-elle.
Miroir grossissant de la société vietnamienne, les écrits
de Duong sont truffés d'idées à caractère romanesque,
échappant ainsi à la sécheresse de la littérature engagée
qu'on rencontre en Occident, particulièrement en France.
Son dernier roman intitulé «Terre des Oublis» raconte
dans un style captivant l'histoire d'un soldat
vietnamien, tenu pour mort sur le front, qui revient chez
lui et trouve son épouse remariée avec un homme riche, à
la situation confortable et beaucoup plus séduisant que
lui. Eclate alors dans le coeur du soldat un tourbillon
impétueux d'interrogation et de révoltes: Qui a raison ?
L'honneur ou l'amour, la patrie ou les sens ? A qui être
fidèle jusqu'au sacrifice ultime de soi? Un roman qui
fouille et explore les profondeurs lointaines de la
nature humaine et sur lesquels sont venus se greffer des
aspects réels de la vie au Vietnam pendant la guerre
ravageuse qui a déchiqueté le pays.
Tunis Hebdo - 1er Mai 2006
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