L'ouverture du régime passe par un dialogue avec les chefs bouddhistes
Vo Van Ai, le président du comité Vietnam pour les droits de l'homme, porte-parole de l'Eglise bouddhiste unifiée du Vietnam (EBUV), interdite par le régime en place, critique les pays occidentaux, plus préoccupés d'économie que de démocratie dans leurs relations avec Hanoi.
Quelle est votre réaction à la décision des Etats-Unis de retirer le Vietnam de la liste noire des pays qui violent les libertés religieuses ?
Je proteste contre ce geste. Les Etats-Unis sacrifient les principes démocratiques en faveur du profit. Le sommet de l'APEC [le Forum de coopération économique Asie-Pacifique (APEC) a eu lieu à Hanoi les 18 et 19 novembre 2006] n'évoque que des questions commerciales. C'est pour cela que j'ai écrit une lettre ouverte aux vingt et un chefs d'Etat présents, les incitant à ne pas parler que de cela. Le développement économique sans l'évolution démocratique ne peut mener qu'à une impasse. Certes, le Vietnam se vante d'enregistrer des taux de croissance de 7 % ou 8 % avec lesquels il enregistre la deuxième croissance la plus forte de la région. Ce n'est pas pour autant un signe de stabilité. Bien sûr, la situation du pays est meilleure qu'il y a vingt ans. Mais un taux de croissance ne représente en fait que 30 dollars par an pour chaque Vietnamien. Etant donné la politique du doi moi [nom donné au train de réformes économiques] adoptée en 1986, les changements économiques n'élèvent pas de façon radicale le niveau de vie des habitants. A Hanoi, à Hô Chi Minh-Ville et dans les grandes agglomérations, les choses changent. Mais 80 % des gens vivent dans les campagnes et, là, ils sont au niveau du seuil de pauvreté.
Qu'attendez-vous du Parti communiste du Vietnam?
Je pense qu'il y aura une ouverture véritable lorsque le PCV sera prêt à un dialogue avec les bouddhistes. Les religions tiennent une place importante dans la société vietnamienne. Il n'y a pas d'opposition politique ni d'organisation de la société civile. Les mouvements religieux constituent les seuls mouvements qui demandent la démocratisation du PCV, et la répression est en conséquence très dure contre les chefs bouddhistes. En février 2001, l'EBUV a lancé un appel pour la démocratisation du Vietnam. Ce geste a permis de briser la peur et permet aujourd'hui à de nouveaux mouvements d'opposition d'émerger. Nous ne voulons pas renverser le régime tant qu'il sert toute la population. Actuellement, ce n'est pas le cas, il sert seulement les intérêts des deux millions de membres du parti.
Quels sont vos espoirs ?
Je souhaiterais que les médias occidentaux parlent des questions sociales et des droits de l'homme plutôt que de l'économie, et que les pays donateurs fassent pression sur Hanoi. Ils devraient poser des conditions avant d'offrir leur aide. Par exemple, en début d'année, une grande vague de grèves a secoué les zones industrielles de Hanoi et d'Hô Chi Minh-Ville. En deux mois, il y a eu quelque 150 débrayages, auxquels 140 000 ouvriers ont pris part. Il n'y a pas de syndicat libre. Le gouvernement n'a pas cherché à résoudre le problème de fond. Le salaire minimum est passé de 23 à 25 dollars. Quelques meneurs ont été arrêtés, et tout est rentré dans l'ordre. Et les médias occidentaux n'ont quasiment pas parlé de ce mouvement.
Par Christine Chaumeau - Courrier International - 23 Novembre 2006
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