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Dans les galeries vietnamiennes, le dernier chic est stalinien

HANOI - Dans l'idéologie marxiste-léniniste, l'art se doit de servir la révolution. Mais au Vietnam, où l'orthodoxie des slogans cohabite avec le capitalisme triomphant, la logique s'est inversée: la propagande s'est désormais imposée comme le dernier chic artistique. Touristes et expatriés ne jurent plus que par les affiches politiques qui constituent l'art officiel depuis des décennies et que le pays continue de produire, tant à des fins de propagande que pour remplir les boutiques spécialisées.

L'esthétique pop-art se mêle aux slogans hérités de l'épopée guerrière. Des textes rappelant que "le feu de la lutte rugit" ou que "les bombes et les balles ne tuent pas un peuple héroïque" accompagnent un graphisme à mi-chemin entre Russie soviétique et Chine de Mao. Le valeureux paysan double les rendements pour nourrir le peuple, la jeune mère de famille porte son bébé dans un bras et son fusil de l'autre. L'ennemi, quant à lui, agresse, torture et violente sans remord ni limite.

La douceur peut, éventuellement, venir de fleurs de lotus ou de branches de bambou, voire d'un débonnaire et bienveillant Ho Chi Minh, père du Vietnam moderne et fondateur du Parti communiste à la célèbre barbiche, plongé dans la méditation ou appliqué à jouer avec des enfants. "La guerre a été longue et beaucoup de Vietnamiens sont morts. Quand le pays a été réunifié, tout le monde était content," résume un peu rapidement Luong Xuan Hiep, un maître du genre. "J'ai vu ce bonheur et j'ai voulu transmettre la passion dans mes dessins".

Agé de 55 ans, Hiep a tout appris de son père, Luong Xuan Nhi, qui a effectué une brillante carrière d'artiste officiel d'abord au coeur du conflit contre la puissance coloniale française, puis pendant la guerre contre les Etats-Unis. "J'ai appris de mon père que l'abondance de couleurs n'était pas nécessaire", explique Hiep. "Des couleurs simples, basiques, peuvent aider le peintre à aller droit au but".

Une partie de la culture artistique qui transparaît dans ses posters provient de l'Ecole des Beaux-Arts ouverte à Hanoï par les Français en 1924, et par laquelle l'influence des grands maîtres européen s'est imposée au Vietnam. Pendant les années de guerre, les artistes sont devenus porte-parole. "La culture, la littérature et l'art constituent un autre front et vous êtes tous des combattants," disait ainsi l'oncle Ho en 1951. Aujourd'hui, cet art vaut aussi pour ce qu'il transmet de l'histoire du pays.

"Les dessins sont puissants parce qu'ils témoignent d'un pays en temps de guerre", estime Dominic Scriven, un investisseur britannique épris du pays, propriétaire d'une galerie à Ho Chi Minh-Ville (sud) et co-éditeur d'un ouvrage consacré aux affiches de propagande. "Les peintres, journalistes, les médias dans leur ensemble ont joué un rôle extrêmement important dans la lutte pour l'indépendance", souligne l'homme d'affaires, qui projette de faire tourner une exposition en Asie. La recette continue de faire école dans les campagnes contre la drogue, la lutte contre la grippe aviaire ou le contrôle des naissances. La modernité permet aux auteurs d'utiliser des marteaux et des faucilles standardisés sur ordinateur.

Mais cet engouement ne prend guère chez les Vietnamiens. "Beaucoup de gens ici, surtout les jeunes, sont lassés par ce type d'art, quand ils le regardent encore," admet Martin Gainsborough, un expert du Vietnam de l'université de Bristol, fan de la première heure. "Quand ils voient ces affiches sur mes murs, ils semblent un peu interloqués comme pour dire: +mais pourquoi aimes-tu ça ?+". Il ajoute, ravi : "Je ne sais pas trop ce que je préfère, entre l'idéalisme et l'ironie. Je crois que c'est le mélange des deux".

Par Frank Zeller - Agence France Presse - 30 Octobre 2006