~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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La taupe de Giap avait une carte de presse

« Nous sommes dans la salle d'opération américaine ? », s'est exclamé un jour le général Giap, stratège en chef du Viêt-cong. Il y avait Sorge, Philby, il faudra désormais compter avec Pham xuân Ân, le Vietnamien préféré des Américains, l'espion n° 1 de Giap, qui en ignorait l'identité. C'est une formidable histoire d'espionnage que raconte Jean-Claude Pomonti, ancien envoyé spécial du « Monde » au Vietnam dans « Un Vietnamien bien tranquille », aux éditions des Equateurs (187 p., 16,90 euros). Formé en Californie, journaliste à l'agence Reuters puis au magazine « Time » - il avait son bureau dans le mythique hôtel Continental - Pham xuân Ân a été du début des années 1950 jusqu'à la chute de Saïgon, en 1975, la principale taupe communiste dans le sud du pays. Il avait ses entrées partout, à l'état-major, à la CIA, au gouvernement de Saïgon, à l'ambassade américaine. L'affaire a été révélée en 1978, par un membre du PC vietnamien : Ân a le rang de colonel des services de renseignements. Le colonel a causé des dégâts terribles. Pendant des années, il a prodigué des conseils à des officiers, politiciens, espions, universitaires américains et sud-vietnamiens, tout en fournissant à Hanoï, plus que des « tuyaux », de véritables analyses stratégiques. On sait, par exemple, qu'il communiqua dès sa publication le programme confidentiel sur la « guerre spéciale » en novembre 1961, prélude à l'engagement américain. Pham xuân Ân est l'espion idéal, l'espion haut de gamme : l'espion-stratège.

Pomonti a bien connu Pham xuân Ân. Il se souvient de « sa silhouette légèrement voûtée », quand il se rendait discrètement à Hô Bô, une forêt située à une vingtaine de kilomètres de Saïgon. Trente ans après, à l'occasion de la commémoration du cinquantenaire de la victoire du Viêt-minh à Dien Bien Phu, il l'a retrouvé. Amaigri par la maladie, « la poignée de main (...) toujours aussi ferme », les « yeux roulent de la même façon quand, pince-sans-rire, il raconte une histoire drôle ». Un type intelligent, fin, cultivé, parlant et écrivant couramment le français, convive agréable, plein d'humour. Certes, une rumeur courait sur lui - il était agent de la CIA - mais il laissa dire et les autres n'en tinrent pas compte. Bref, le confrère idéal.

Traitre ou patriote ? Pham xuân Ân avait l'habitude de fredonner la chanson de Joséphine Baker : « J'ai deux amours, mon pays et Paris ». C'est clair. Pour Stanley Karnow, grand reporter au Vietnam, Pham xuân Ân était « déchiré entre deux loyautés ». « Sa loyauté en ce qui concerne l'Amérique était à l'égard de ses collègues ; vis-à-vis du Vietnam, sa loyauté concernait la nation. » La prochaine étape pour « Un Vietnamien bien tranquille », c'est, bien entendu, un film.

Les échos - 18 Avril 2006