L'agent orange est une arme de destruction massive
Plus de trente ans après la fin la guerre civile, les herbicides déversés par l'armée américaine dans les années 1960 et connus
sous le nom d'agent orange font encore de nouvelles victimes. Kim Vo Dinh et Marie-Hélène Lavallard, du colletif Vietnam-Dioxine,
dressent un état des lieux en répondant à Courrier international.
Combien de personnes sont aujourd'hui victimes des effets de la dioxine ?
Kim Vo Dinh et Marie-Hélène Lavallard Les estimations oscillent de manière assez large entre 1 million et 3 millions de victimes
vivantes. Et 200 000 enfants sont nés avec des malformations. Mais il reste très difficile de déterminer le nombre exact de
personnes contaminées par la dioxine contenue dans l'agent orange. Selon l'étude la plus récente et la plus complète, effectuée
par une équipe de l'université Columbia, de New York, et publiée dans le numéro d'avril 2003 de la revue Nature, de 2,1 millions
à 4,8 millions de Vietnamiens ont été directement exposés aux herbicides entre 1961 et 1971.
Pour être absolument certain qu'une personne a été infectée, il faudrait faire un dépistage. Mais cela coûte 1 000 euros, une
somme trop importante pour le faire de manière systématique. Selon les normes internationales, la dose en dioxine à ne pas
dépasser par personne (par jour et par kilogramme) se calcule en millionième de millionième de grammes.
L'un des problèmes majeurs est que l'on ne connaît pas à 100 % le mode de transmission. Est-ce le lait maternel, la dioxine
encore présente dans la nature et l'eau ou bien une transmission génétique ? Nous devons nous contenter des recherches
épidémiologiques et, là encore, les ressources financières sont trop peu nombreuses. Il faut souligner que la majorité des
centres de recherche dans les universités sont financés par les entreprises chimiques ou pharmaceutiques qui fabriquent ce type
de produit.
Une plainte des victimes a été déposée en janvier 2004 devant la justice américaine. Pourquoi ont-elles attendu aussi longtemps ?
Le Vietnam a longtemps voulu apparaître comme le vainqueur de la guerre, et non pas comme une victime. L'ampleur du problème n'a
donc été connu que peu à peu. Les personnes affectées par des malformations vivent souvent dans l'ostracisme et la honte. Les
épandages ont eu lieu dans des zones reculées, majoritairement habitées par des minorités ethniques, cible du mépris de la
majorité viet. Il a fallu faire circuler l'information dans ces régions montagneuses, difficiles d'accès et auprès de personnes
ne parlant pas le vietnamien. Pas un dixième des victimes n'était au courant de leur état.
Lorsque le gouvernement s'est aperçu que les enfants de la troisième génération étaient également touchés, il n'était plus
possible de ne rien dire. C'est désormais une cause nationale extrêmement bien relayée par la presse locale. Aujourd'hui, le
gouvernement vietnamien est en phase de négociation pour entrer dans l'Organisation mondiale du commerce et entend préserver ses
relations avec Washington. Publiquement, il ne peut pas faire pression sur les Etats-Unis sur cette question.
Mais l'association vietnamienne des victimes de l'agent orange (VAVA) a été autorisée par décret gouvernemental en décembre 2003,
et la plainte concerne les fabricants de défoliants, les plus importants étant Dow Chemical et Monsanto, et non pas le
gouvernement américain. En 1984, les vétérans américains de la guerre du Vietnam ont obtenu 180 millions de dollars d'indemnités
de la part de Monsanto et de Dow Chemical.
La plainte a été rejetée en mars 2005, la procédure d'appel est en cours. Où en sommes nous ?
En première instance, le verdict de 234 pages a été rendu le lendemain même de la fin de la plaidoirie. On se demande quel a été
le rôle de la plaidoirie des avocats sur un tel jugement si bien tapé et circonstancié ! Il faut dire que le département d'Etat
avait adressé au magistrat une note quelques semaines avant le jugement affirmant que, si la plainte était acceptée,
"l'implication de cette affaire serait ahurissante car elle ouvrirait la voie au dépôt de plaintes d'anciens ennemis des
Etats-Unis auprès du système judiciaire américain".
Les plaidoiries d'appel doivent maintenant avoir lieu en août prochain. Elles ont été repoussées à plusieurs reprises. Dans leurs
argumentaires, les fabricants se retranchent derrière les autorités américaines. Elles disent avoir prévenu le gouvernement de la
dangerosité des produits et avoir proposé l'utilisation d'un produit de substitution. Au-delà des indemnités, ce procès est
important pour que les responsabilités soient reconnues.
La condamnation en janvier dernier de Monsanto et Dow Chemical par une cour sud-coréenne va dans le bon sens. Les deux
entreprises doivent verser 62 millions de dollars aux vétérans sud-coréens de la guerre du Vietnam. L'issue du procès de New York
dépend beaucoup de la mobilisation internationale sur cette question.
Et où en êtes-vous de la campagne internationale de mobilisation contre les effets de l'agent orange ?
La pétition destinée au président américain a déjà recueilli 700 000 signatures. Nous travaillons avec des collectifs de victimes
comme celui de Bhopal, qui fait face aux mêmes protagonistes. Dow Chemical a racheté Union Carbide, qui était propriétaire de
l'usine de Bhopal en Inde. Nous organisons régulièrement des événements pour sensibiliser l'opinion à cette question. Il faut une
véritable prise de conscience internationale des effets à long terme de l'agent orange. La lutte contre ce produit est une lutte
contre les armes de destruction massive. Les herbicides sont encore utilisés aujourd'hui en Colombie et font courir des dangers
aux populations locales.
Par Christine Chaumeau - Courrier International - 11 Mai 2006
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