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L’aquaculture se développe au détriment de l’environnement

Les produits aquatiques tiennent une place importante au Vietnam. En quinze ans, la valeur des exportations de ce secteur a été multipliée par neuf, pour atteindre 2,65 milliards de dollars en 2005.

Afin de doper les exportations, l’aquaculture est devenue l’activité économique principale de zones côtières, et surtout, du delta du Mékong dans le Sud. Mais en même temps, elle menace l’environnement : mangroves ravagées, ouvrages hydrauliques détournés, écosystème en danger… La province Ca Mau peut se vanter du titre de capitale vietnamienne de l’élevage de crevettes en eau saumâtre : elle abrite le plus grand nombre d’éleveurs du pays. Il y a à peine dix ans, cette région lointaine, la pointe sud d’un Vietnam long et étroit, se contentait de ses rizières, seulement exploitables en saison des pluies et donc abandonnées six mois par an. L’élevage de crevettes, quand il existait, était destiné au marché local. Depuis, la province a fait sa révolution. En 2000, 20 000 hectares étaient consacrés à cette activité, promettant de rapporter de quatre à cinq fois plus que le riz. Cinq ans après, le chiffre a été porté à 250 000 hectares, soit plus de la moitié de la superficie consacrée à l’élevage de crevettes dans tout le Vietnam.

Le riz détrôné

Cinq années ont suffit pour “détrôner” le riz et… faire reculer les mangroves. Ces forêts protectrices, pour longtemps inséparables de l’image de l’extrémité sud du delta du Mékong, sont menacées et "grignotées" au rythme de l’extension des superficies aquicoles. Avec le feu vert des autorités locales, dans le cadre d’un plan mixte "crevettes – mangliers", les habitants creusent des étangs dans les forêts, officiellement jusqu'à 40 % de la surface totale pour l’aquaculture. Dans les faits, cette limite officielle est loin d’être respectée.

Le réseau d’hydraulique, initialement construit pour protéger le delta contre l’eau de la mer et garder l’eau douce après la saison des pluies, notamment pour la riziculture, a été modifié, détourné et, parfois, détruit. "L’écosystème a perdu son équilibre et les pluies ne suffirent plus pour dessaler les rizières. Et avec le temps, l’eau devient même trop salée pour l’aquaculture", constate Nguyen Huu Chiem, professeur à l’Université de Can Tho, la capitale économique du delta du Mékong.

Les riziculteurs, premières victimes, traversent actuellement une crise sans précédent. Faute d’un drainage efficace, leurs champs se transforment peu à peu en "déserts", à Ca Mau comme à Soc Trang, Bac Lieu, d’autres provinces du delta du Mékong. Faute de terres cultivables, de plus en plus de paysans sont ceux obligés de partir chercher du travail ailleurs. Les aquiculteurs, désignés comme coupables de la dégradation de l’environnement, souffrent eux aussi depuis quelques saisons. "Au moins huit familles sur dix dans ma commune n’ont rien à récolter depuis un an. Le riz ne peut plus pousser et les crevettes sont toutes mortes", témoigne un habitant du district Cai Nuoc, province de Ca Mau.

Nécessité d’une concertation globale

Dao Van Kiên a toutes les raisons pour se montrer pessimiste. Ingénieur à l’Institut d’hydraulique du Sud, il dirige depuis cinq ans une étude sur le développement durable dans le delta du Mékong. Pour lui, la situation ne pourra que se dégrader tant que n’est pas prise la décision d’investir massivement dans le réseau d’hydraulique. Mais la réalité se veut bien différente : sur les 4 000 milliards de dông (environ 200 millions d’euros) prévus par la province de Ca Mau de 2000 à 2005 pour améliorer les canaux d’irrigation-évacuation de l’eau salée, les réserves en eau douce et les égouts, seuls 10 % ont été débloqués...

Pour retrouver l’équilibre environnemental, "un plan global et radical doit être mis en place", estime M. Kiên. Il précise qu’une enveloppe de plus de 800 millions d’euros et une durée minimale de dix ans sont nécessaires. "De toute urgence, il faut stopper la surexploitation des sols pendant deux, trois ans, pour que l’environnement et le sol se rétablissent. Mais comment les paysans vont-ils survivre ?" Une question à laquelle les autorités locales ne sont pas en mesure de répondre seules. Le directeur adjoint du Service provincial des produits aquatiques de Ca Mau, M. Diêp Thanh Hai, l’avoue : "Cela dépasse les compétences d’une localité…" Le chantier reste énorme, pour les autorités comme les aquiculteurs vietnamiens. Alors que le gouvernement a fixé l’objectif ambitieux d’exporter pour 4 milliards de dollars de produits aquatiques en 2010.

Par Duc Tue Dang - InfoSud Syfia Vietnam - 4 Avril 2006