~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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Le retour des Américains

Avec l'entrée de Hanoi dans l'OMC, les capitaux américains vont déferler sur le pays qui avait infligé une défaite aux Etats-Unis. Sur place, le communisme local se dilue dans un capitalisme sauvage

Trente et un ans après la défaite militaire des Etats-Unis au Vietnam, les habitants se sont précipités en masse vers le premier restaurant «fast food» à 100% «made in USA» qui vient d'ouvrir ses portes à Hanoi. Le 26 avril dernier, jour anniversaire de la naissance de Lénine, une foule immense se pressait dans les rues de Hanoi, où Bill Gates, le plus fameux des capitalistes, défilait triomphalement. Le président vietnamien, le premier ministre, le premier vice-premier ministre, tous quittèrent précipitamment la salle du 10e Congrès du Parti communiste vietnamien (PCV) pour ne pas rater la photo-souvenir en compagnie de l'homme le plus riche du monde.

Le 4 juillet, jour de la fête nationale américaine, deux navires de guerre américains feront escale à Hô Chi Minh-Ville. Au grand dam des Européens, les Vietnamiens viennent d'acheter leur premier satellite de télécommunications aux Etats-Unis. Et, fait sans précédent, en l'espace de neuf mois, le secrétaire d'Etat à la Défense Donald Rumsfeld, les présidents de la Chambre des représentants et du Sénat, la secrétaire d'Etat «Condi» Rice et, cet automne, le président George Bush lui-même auront fait un déplacement au Vietnam.

Vieux camarades

Toutes les attentions sont bonnes aujourd'hui pour accueillir les Américains en vieux camarades. Lorsque Nguyen Van An, le président de l'Assemblée nationale vietnamienne, a reçu Hennis Hastert, le chef de la Chambre des représentants, à Hanoi en avril, il lui a présenté une lettre dans laquelle Ho Chi Minh demandait au président Truman de l'aide pour chasser les Français. «Nous aurions dû nous rencontrer il y a soixante ans!», s'est exclamé le Vietnamien. Plus question donc de perdre une seconde. «Nous nous sommes battus mille ans contre les Chinois, cent ans contre les Français et vingt ans contre les Américains, explique un cadre du Ministère des affaires étrangères, il est temps de penser à l'avenir.»

Le PCV danse sur une corde raide, tant il donne l'impression de courir derrière la société civile, 82 millions de citoyens affamés de consommation. En 1985, lorsque le Parti avait lancé la première «Doi Moi» (ouverture) au capitalisme, le chef du gouvernement Pham Van Dong avait eu cette formule: «Nous sommes aujourd'hui sur la route, sans carte». Vingt ans plus tard, à la veille du grand chambardement de l'entrée du Vietnam dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en octobre prochain, le Parti a complètement perdu la boussole.

Comment demeurer communiste en gérant un capitalisme sauvage? «Au sein du Parti, les dirigeants vivent dans une contradiction qu'ils sont incapables de résoudre et de théoriser. La plupart se battent maintenant pour le contrôle d'activités économiques», explique Hoang Tuan Dung, un économiste qui travaille pour une filiale de la Banque mondiale. Il ajoute: «Beaucoup pensent que le Vietnam est devenu le pays le moins socialiste du monde. Dans l'âme, les Vietnamiens sont capitalistes. Les Etats-Unis ont gagné silencieusement.» Chacun tente donc sa chance et prend le départ de la course vers la fortune.

«On pense au fric»

«On pense au fric du matin au soir», affirme Phuong, une étudiante. Plus d'un millier de sociétés nouvelles naissent chaque mois. Le Vietnam a besoin chaque année de 1,3 million d'emplois nouveaux, créés à 98% par le secteur privé. Les 4200 entreprises d'Etat, qui se réservent les secteurs juteux des télécoms, de la banque, des compagnies aériennes ou de l'énergie, absorbent la totalité des prêts des banques, mais ne créent que 1% des emplois... Dans cette jungle socialiste opaque où l'économie tourne en surchauffe (plus de 8% de croissance), seuls les plus forts survivent. «Au Vietnam, explique Nguyen Quang A, un ex-officier communiste devenu président de la banque privée VP Bank, si vous voulez réussir quelque chose, vous pouvez tout faire. Il suffit de connaître les habitudes locales. Si vous suivez strictement la loi, vous ne pouvez rien faire».

L'entrée dans l'OMC est ressentie comme un soulagement, le «grand soir» du Vietnam nouveau, ce jour glorieux où les investisseurs américains vont enfin imposer au pays des règles de transparence et de concurrence qui balaieront les mafias du PCV. Des groupes comme Nike (130.000 employés au Vietnam) ou Intel (605 millions de dollars d'investissements) ont pris de l'avance. L'investissement étranger dans le pays bondit (+41% en 2005) et la Bourse a doublé de valeur en un an. Cette euphorie est fondée sur des intérêts croisés bien compris. Du côté américain, les profits économiques sont évidents: avec un salaire moyen de 58 dollars par mois pour un ouvrier travaillant 48 heures par semaine (avec 12 jours de congés annuels), le Vietnam est une bonne affaire.

Sur le plan géopolitique, l'ancrage américain au Vietnam est la meilleure recette pour contrer l'impérialisme chinois vers l'ex-Indochine. A Phnom Penh, au Cambodge, comme dans la capitale vietnamienne, les Etats-Unis construisent des ambassades pour un millier de fonctionnaires... Enfin, il y a des petits plaisirs qui se savourent: «Pour la génération des dirigeants américains, qui ont grandi dans l'humiliation de la défaite de leur armée au Vietnam, il y a un goût délicieux de revanche dans cette conquête économique», affirme un diplomate européen à Hanoi.

Le plus riche du pays

Dao Hong Tuyen, un cadre du Parti communiste, est maintenant l'homme le plus riche du Vietnam. Dans son palais, qui ressemble à la Maison-Blanche, il explique: «Pour bien réussir, il faut nettoyer toutes ses anciennes pensées de son esprit. Mon âme de communiste est désormais en paix avec mon âme de capitaliste».

Par François Hauser - L'express (.ch) - 28 Juin 2006