~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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Hanoï, le retour américain

La prise en compte de certaines réalités internationales étant de nouveau à l'ordre du jour à Washington, les néoconservateurs américains sont amers. C'est couleuvres après couleuvres qu'ils sont priés d'avaler. La plus grosse, bien sûr, c'est la couleuvre iranienne : le ralliement de l'administration, sous la pression de la secrétaire d'Etat Condoleezza Rice, à la diplomatie constitue pour le moins un échec des partisans de la solution militaire ou du changement de régime à Téhéran.

Il est d'autres reptiles, moins visibles, que les néoconservateurs ont été également obligés de gober ces derniers temps. A commencer par le rétablissement de pleines relations avec la Libye du colonel Kadhafi, réclamé depuis longtemps par les compagnies pétrolières américaines. Sans que l'on puisse parler pour autant de progrès démocratique dans ce pays qui figurait depuis vingt années sur la liste des Etats terroristes établie par le département d'Etat. Sans même que soient enfin libérés les cinq infirmières bulgares et le médecin palestinien détenus depuis des années dans les prisons libyennes sous l'accusation d'avoir répandu sciemment le virus du sida. Une accusation sans fondement qui leur a valu tout de même une condamnation à mort. Le verdict a été annulé par la Cour suprême libyenne, et les malheureux coopérants attendent l'issue d'un nouveau procès qui dépendra, manifestement, du financement international d'un fonds destiné à lutter contre le sida. Et Tripoli a fait savoir qu'il serait bon que le montant de ce fonds soit égal aux indemnités versées par le régime libyen aux familles des victimes du vol de la Pan Am, détruit par explosif il y a dix-huit ans au-dessus de Lockerbie...

Autre concession à la Realpolitik : le rapprochement accéléré avec le Vietnam, le pays qui infligea aux Etats-Unis, voici un peu plus de trente ans, leur pire humiliation. Deux événements récents illustrent le phénomène. Tout d'abord la signature, le 31 mai dans l'ancien palais présidentiel de Saïgon-Ho Chi Minh-Ville (celui-là même qui fut investi par les chars nord-vietnamiens en avril 1975), d'un accord commercial ouvrant aux produits et services américains un marché de plus de 80 millions d'habitants. Cet accord constitue également le feu vert américain à l'entrée du Vietnam, en juillet, dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Deuxième signal spectaculaire : la visite officielle effectuée à Hanoï, du 4 au 6 juin, par Donald Rumsfeld, le secrétaire à la Défense, pour élargir la coopération militaire entre les deux pays. Officiellement, les résultats de cette visite sont modestes : des officiers vietnamiens pourront s'initier à l'anglais dans une école militaire du Texas et les Etats-Unis vont livrer au Vietnam des pièces détachées et des engins de déminage. Force est de constater cependant que cette visite a lieu alors que le Pentagone s'inquiète de la montée en puissance de l'armée chinoise (une armée qui a attaqué le Vietnam en 1989) et au lendemain d'un accord américano-indien (toujours pas approuvé par le Congrès américain) qui reconnaît à New Delhi un statut de puissance nucléaire militaire. Evitant pour une fois la provocation, Donald Rumsfeld a cru bon de préciser que la question chinoise n'avait pas été abordée avec ses interlocuteurs pas plus que celle de l'accès de l'US Navy aux ports et bases vietnamiens. Gageons que ce n'est que partie remise puisque George W. Bush doit se rendre au Vietnam ­ comme l'avait fait Bill Clinton à la fin de son second mandat ­ au mois de novembre, pour participer au sommet de la coopération économique Asie-Pacifique (Apec).

Tout comme la normalisation avec la Libye, le rapprochement avec Hanoï est totalement contraire aux thèses néoconservatrices qui plaident en faveur d'une transformation démocratique des régimes oppressifs et non de leur acceptation. Tout en connaissant un taux de croissance exceptionnel (8,4 % en 2005), le Vietnam reste en effet l'un des derniers pays communiste du globe avec toutes les restrictions que cela implique en matière de droits de l'homme et de liberté religieuse. On a pu s'en rendre compte fin avril, lors de la messe du Xe Congrès du Parti : le PC se veut toujours le seul maître du pays, même s'il a décidé d'accepter dans ses rangs des «entrepreneurs» pour poursuivre le développement du pays, attirer les investissements étrangers (il a dû accepter d'ouvrir à la concurrence les marchés de l'énergie, des télécommunications et des services financiers) et ne pas rebuter l'importante diaspora dont le poids financier est croissant.

Seule vraie innovation : les dirigeants du Parti semblent enfin décidés à lutter contre la corruption exponentielle qui affecte jusqu'aux plus hauts cadres du régime. C'est ainsi que la presse aux ordres a fait une large publicité au scandale qui a affecté le ministère des Transports, dont un chef de section et ses affidés détournaient depuis des années une partie de l'aide internationale pour financer des paris sur des matchs internationaux de football et mener grand train. L'affaire, qui ne constituerait que la partie émergée d'un immense iceberg, a soulevé les protestations des donateurs, notamment la Banque mondiale, le Japon et le Royaume-Uni.

Par Jacques Amalric - Libération - 8 Juin 2006