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Thich Nhat Hanh, la méditation en action

Figure éminente du bouddhisme zen vietnamien et fondateur du Village des pruniers, dans le sud-ouest de la France, ce moine de 80 ans a récemment proposé à l'Unesco une formation internationale à la paix et à la pleine conscience

Le moine trappiste américain Thomas Merton, qui ne l’a rencontré qu’une seule fois, en 1966, a dit de lui : « En le voyant fermer une porte, j’ai su qu’il était un vrai moine ! » De même, celui qui voit Thich Nhat Hanh boire une tasse de thé devine qu’il est en face d’une personnalité de paix. Un authentique maître spirituel. À 80 ans, ce moine bouddhiste d’origine vietnamienne qui a parcouru la planète et rencontré les puissants de ce monde n’a rien perdu de sa jeunesse exigeante et passionnée. Son regard profond se pose avec douceur et intérêt, sa voix reste égale et calme, son geste attentif et précis… Tout chez lui respire. D’une respiration ample, simple et généreuse, à l’image de sa vie. C’est à 16 ans que Thich Nhat Hanh entre au monastère zen de Tu Hieu : « J’avais la conviction que c’était la bonne voie, que je pourrais ainsi réaliser beaucoup de choses. » Il faut dire que le jeune Vietnamien avait lu comment le roi très bouddhiste Tran Van Tong, au XIIIe siècle, avait résisté à l’envahisseur mongol Gengis Khan. « Je voulais, comme mes ancêtres, aider mon pays, alors sous colonisation française, à gagner l’indépendance et la paix. »

"J’étais très excité de voir un moine pour la première fois"

Dans le village de son enfance, pourtant, il n’y avait pas de moine. Mais il avait entendu parler d’un moine qui vivait au sommet d’une montagne. Avec quelques copains d’école, vers 10 ans, il décide de se rendre sur cette montagne : « J’étais très excité de voir un moine pour la première fois », raconte-t-il. Mais au sommet, les écoliers ne trouvèrent personne : l’ermite, craignant d’être envahi, avait disparu.

À Tu Hieu, où la formation est traditionnelle (méditation et sutras en chinois classique), le novice a vite fait de constater que le boud dhisme a besoin d’être renouvelé pour aider concrètement les populations et rejoindre les jeunes générations. « Je pense que c’est vrai aussi du christianisme, du judaïsme et de l’islam… », sourit-il avec finesse. Au bout de deux ans de noviciat, avec le soutien de son maître qui l’apprécie, il part étudier à l’institut bouddhique Bao Quoc. Mais il quitte l’institut avec quatre autres moines pour continuer de se former et publier divers livres et magazines sur le renouvellement du bouddhisme dans le domaine de l’économie, de la politique ou des sciences humaines. Cinq ans plus tard, quand il revient à Bao Quoc, il y est accueilli chaleureusement : entre- temps, d’autres moines ont perçu la nécessité d’un renouvellement de la tradition. Il faut dire que dans ces années-là, nombreux sont les jeunes Vietnamiens à rejoindre le Kuomintang ou d’autres partis communistes.

Ouvrir les bouddhistes au monde et à la modernité

Si bien que, quelques années après son « ordination » monastique, Thich Nhat Hanh peut se lancer dans le journalisme puis devenir rédacteur en chef de la revue Bouddhisme vietnamien. À 34 ans, souhaitant compléter ses études en Occident, il part à l’université américaine de Princeton, puis à celle de Columbia. Ce qui lui permet d’améliorer ses compétences en anglais, français, japonais, chinois, sanscrit…

À son retour au Vietnam, il fonde l’Université bouddhique Van Hanh, dont la mission est d’ouvrir les bouddhistes au monde et à la modernité, ce qui pour l’époque est anticonformiste. Mais la guerre contre le Vietnam du Nord et la répression antibouddhiste exercée par le gouvernement sud-vietnamien l’obligent à s’engager concrètement. Il fonde alors, la même année, l’École de la jeunesse pour le service social au Vietnam. « Nous sommes allés dans les campagnes pour aider les paysans à reconstruire leur village et à améliorer leur qualité de vie par l’éducation, la santé et l’organisation. Nous n’avions aucun argent, seulement notre cœur », raconte-t-il dans son dernier livre (1).

"Nous avons été formés pour aimer et pour servir"

La guerre s’intensifiant, les bénévoles de l’École s’occupent des réfugiés. Ce que certains paient de leur vie. « Chers amis, vous nous tuez parce que vous pensez que nous sommes votre ennemi, déclarera ainsi un jour Thich Nhat Hanh après l’assassinat de quatre de ses travailleurs sociaux. Mais notre intention n’est pas de détruire. Nous avons été formés pour aimer et pour servir. Nous voulons bâtir une fraternité et suivre la voie de la paix. » En 1966, suspecté par les uns d’être communiste et par les autres d’être un espion, Nhat Hanh n’est plus autorisé à rentrer au Vietnam. Qu’à cela ne tienne, la planète sera sa demeure… « J’ai pratiqué le retour en moi-même ; partout où je vais, je me sens chez moi. »

Et de commencer une vie d’itinérance, dans le but de sensibiliser les opinions publiques à la question du Vietnam. Ses marches méditatives, ses conférences, ses actions sociales suscitent un intérêt croissant en Occident. Thich Nhat Hanh rencontre de nombreuses personnalités, notamment le secrétaire américain à la défense Robert McNamara, le pape Paul VI, et le pasteur Martin Luther King qui, en 1967, dénonce la guerre au Vietnam dans son discours de Riverside (New York) et propose Thich Nhat Hanh au prix Nobel de la Paix. À la fin des années 1970, confronté au drame des boat people auxquels les ports d’Asie refusent le droit d’accoster, il organise dans le golfe de Siam des missions de sauvetage. Quelques années plus tard, il obtient le droit d’asile en France, enseigne à la Sorbonne et préside la délégation bouddhiste lors des négociations devant aboutir aux accords de Paris en 1973.

"Je connaissais par cœur des poèmes de Victor Hugo"

Pourquoi la France ? « Je parlais français ; je connaissais par cœur des poèmes de Victor Hugo ; j’admirais Descartes, ainsi que le style d’Alphonse Daudet et d’André Gide », sourit-il. Et puis, le Vietnam et la France n’ont-ils pas, selon son expression, « des relations karmiques » .

C’est ainsi qu’en 1982, il fonde le Village des pruniers (2) sur un ensemble de huit hameaux, répartis sur trois départements limitrophes (Dordogne, Lot-et-Garonne et Gironde). À la fois monastère bouddhiste et centre de pratique pour laïcs. Actuellement, quelque 300 résidents permanents y vivent, dont 180 moines et moniales. Le nom de ce village a été donné après la plantation de 1 250 pruniers dont la production (six tonnes annuelles !) est vendue au bénéfice des enfants affamés dans le monde. Cette fondation n’empêche pas Nhat Hanh de continuer de parcourir le monde pour répandre le « bouddhisme engagé » et la pratique de la pleine conscience, notamment aux États-Unis, où il a fondé deux autres monastères, l’un au Vermont, l’autre en Californie. Le Village des pruniers accueille environ 4 000 retraitants par an, pour des retraites plus ou moins longues et spécialisées. Les journées y sont bien remplies : réveil à 5 h 30, méditation assise à 6 heures, enseignement à 8 h 30, marche méditative à 11 h 30, travail à 15 heures, toucher de la terre à 16 heures, méditation à 21 h 30… Des membres du Village des pruniers sont également sollicités pour donner des enseignements à travers le monde, notamment dans le cadre de la police américaine ou de prisons aux États-Unis. « Aux prisonniers qui sont dans les couloirs de la mort, nous apprenons à être libres là où ils sont ! »

On calme ses émotions, on pratique l’écoute profonde

D’autres retraites de pratique de la méditation et de la pleine conscience ont été mises en place au Village, depuis 2001, pour des groupes de 20 à 30 Palestiniens et Israéliens. Au cours de ces stages, il n’y a ni discussions sur la situation au Proche-Orient, ni conférences sur les stratégies à adopter, mais simplement la pratique de la paix en soi puis en petits cercles : on se regarde, on calme ses émotions, on pratique l’écoute profonde, et on réalise qu’on est tous des êtres humains en grande souffrance.

« Le véritable processus de paix, a l’habitude de dire le maître spirituel, c’est de retourner en nous-même, de nous réconcilier avec nous-même et de savoir comment faire face à nos propres difficultés : le désespoir, la suspicion, la peur, la colère. » À la fin de la retraite, Palestiniens et Israéliens viennent exposer les fruits de leur pratique devant la communauté réunie et peuvent se mettre d’accord pour voir comment continuer la pratique de retour chez eux. Fort de son expérience pendant la guerre au Vietnam où il a su s’appuyer sur la pratique bouddhiste pour ne pas sombrer dans le désespoir, Thich Nhat Hanh sait trouver les mots pour encourager Palestiniens et Israéliens à croire qu’un jour la guerre s’arrêtera. Et si, jusqu’à présent, leurs efforts pour la paix n’ont pas été couronnés de succès, c’est peut-être parce que ces efforts n’ont pas été suffisamment portés par une écoute profonde, une parole aimante.

"Les chrétiens sont mes frères"

« Si notre processus de paix ne revêt pas une dimension spirituelle, tous nos efforts seront vains, insiste le moine. C’est pourquoi méditer est si important. Méditer, c’est s’asseoir pour regarder la situation en profondeur, voir les choses plus clairement et trouver un meilleur moyen de mettre fin au conflit et à la souffrance. Ce ne sont pas des rêves. Nous pouvons le faire. »

Un enseignement accessible à tout un chacun, quelle que soit sa culture ou sa foi. « Les chrétiens sont mes frères. Je ne veux pas faire d’eux de nouveaux bouddhistes. Je veux les aider à approfondir leur propre tradition », répète le moine, en écho au témoignage affectueux de Thomas Merton qui affirmait « Nhat Hanh est mon frère ». Un enseignement, surtout, que ce petit moine tout simple qui a su transformer les souffrances de l’histoire en graines d’espérance aimerait transmettre à l’humanité pour lui montrer le chemin à suivre pour le XXIe siècle. C’est pour cela qu’il est venu proposer à l’Unesco, le 7 octobre dernier, de mettre en place une formation internationale à la paix. « Chaque pays pourrait y envoyer une dizaine de représentants qui seraient ensuite mandatés pour enseigner la pratique de la paix. »

Par Claire Lesegretain - La Croix - 15 Décembre 2006

(1) La paix en soi, la paix en marche, Albin Michel, 190 p., 16 €. Thich Nhat Hanh est l’auteur de près de 80 livres, dont plus d’une vingtaine publiée en français. Chez le même éditeur, il a aussi publié Changer l’avenir pour une vie harmonieuse (2002), Enseignements sur l’amour (1999), Transformation et guérison (1997)…(1) La paix en soi, la paix en marche, Albin Michel, 190 p., 16 €. Thich Nhat Hanh est l’auteur de près de 80 livres, dont plus d’une vingtaine publiée en français. Chez le même éditeur, il a aussi publié Changer l’avenir pour une vie harmonieuse (2002), Enseignements sur l’amour (1999), Transformation et guérison (1997)…

(2) Le Village des pruniers, Hameau du Bas, Meyrac, 47120 Loubès-Bernac. Tél. : 05.53.94.75.40.(2) Le Village des pruniers, Hameau du Bas, Meyrac, 47120 Loubès-Bernac. Tél. : 05.53.94.75.40.