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Trente ans après sa victoire, le Vietnam célèbre "la paix, non la guerre"

HANOI - Sur la scène, des chanteuses peu connues et souvent mal attifées se déhanchent en enfilant les rengaines. Autour d'une table, un jeune chirurgien, au sortir d'une épuisante journée, et son épouse bavardent avec un photographe et un propriétaire de salon de coiffure. Attablé à côté, un groupe de Saïgonnais devient bruyant à force de s'imbiber de whisky. "Des commerçants" , dit le coiffeur. Il est 22 heures à Hanoï, et le Mosaic Night Club est à moitié rempli d'une clientèle partagée entre l'envie de rentrer dormir et celle de peupler la soirée. Le spectacle peut paraître un peu ringard mais, voilà dix ans encore, une telle ambiance aurait été impensable dans une capitale toujours austère et qui découvrait lentement "l'économie de marché au service du socialisme" .

Fin 1986, le pays s'est ouvert aux investissements étrangers. Aujourd'hui, le géant Nike emploie 130 000 ouvriers, et son chiffre d'affaires annuel est supérieur à un demi-milliard d'euros. Le Vietnam compte 82 millions d'habitants. Les deux tiers d'entre eux sont nés après la victoire communiste de 1975, dont le 30e anniversaire est célébré ce 30 avril. Le revenu annuel par tête a doublé de 1990 à 2000.

"Le problème est l'éthique, surtout parmi les jeunes" , s'inquiète un vieux cadre du Parti communiste, pourtant connu pour ses idées libérales. "La corruption, les drogues, la prostitution, l'abandon des valeurs" , explique-t-il. Ce "relâchement" lui fait peur. Un autre vétéran du parti remarque que les entreprises privées ­ qui représentent le quart du produit intérieur brut et sont pratiquement les seuls créateurs d'emplois ­ doivent s'associer aux "capitalistes rouges" , qu'il qualifie de "propriétaires fonciers au nom du peuple" . Comme en Chine, le pouvoir encourage l'entreprise privée tout en contrôlant strictement la presse, les religions et les dissidents. Avec la préparation du Xe congrès du parti, prévu en 2006, les tensions montent d'un cran entre des factions concurrentes. "Les plus conservateurs se disent inquiets de ce qui s'est passé en Géorgie, en Ukraine et, plus récemment, au Kirghizstan ; ils n'y voient que des manipulations de l'Occident" , dit un communiste qui s'attend, comme tous les cinq ans, à une nouvelle tentative de verrouillage politique.

Les jeunes veulent construire le pays et écartent d'un revers de manche les préventions à l'égard du capitalisme. Dans une société encore confucianiste, cette rupture est gérée de façon pratique : tout en ne contestant pas le discours des anciens, les enfants des grandes familles communistes vivent de plus en plus comme ils l'entendent.

Ecarts de revenus

"Pendant un quart de siècle après la libération, nous n'avons pas eu de plan directeur du développement de Hô Chi Minh-Ville. C'est fait depuis l'an 2000 et c'est très important" , explique Nguyên Thiên Nhân, dynamique et jeune vice-président du Comité populaire de Saïgon, rebaptisé Hô Chi Minh-Ville en 1975. "La ville, poursuit-il, compte plus de 6 millions d'habitants et augmente d'un million d'habitants tous les sept ans. C'est très dur, notamment sur le plan du logement. Quand le taux d'expansion économique a été de 11,6 % en 2004 et devrait être de 12,4 % cette année, la discipline est indispensable."

La grande métropole et ses environs sont devenus, de loin, le premier pôle de développement économique du pays avec 40 % du PIB, 58 % de la production industrielle et 70 % des exportations. En règle générale, une croissance accélérée exacerbe les écarts de revenus. En outre, surtout dans des régions comme celles des hauts plateaux du Sud ou la haute région du Nord, peuplées de minorités ethniques pauvres, l'administration est entre les mains de "petits chefs arrogants et corrompus" , selon un expert européen. Ceux qui ont fui le pays en 1975 et dans les années suivantes ont droit à une offensive de charme. Parmi ces 2 millions de Viet Kieu, ou Vietnamiens d'outre-mer, dont les enfants sont diplômés des universités occidentales, les cerveaux pullulent, et l'argent ne manque pas, ainsi que lesouligne le transfert, en 2004, deplus 3 milliards d'euros à des parents demeurés au pays. "L'occasion de les récupérer est unique. Si le pouvoir est sincère, les Viet Kieu coopéreront. Mais si c'est un nouveau jeu du chat et de la souris, cela ne marchera pas" , dit un vétéran du parti.

A Hanoï, près du lac de l'Epée-Restituée, trône désormais une imposante statue de l'empereur Ly Thai Tô, fondateur de la ville en 1009. Le millénaire de Thang Long, premier nom de Hanoï, sera célébré en 2009. A Viet-Tri, à une heure de route de Hanoï, on a déjà fêté à la mi-avril les rois Hung, fondateurs semi-légendaires, avant l'ère chrétienne, du pays. Cette commémoration, a écrit un commentateur officiel, "exacerbe le patriotisme et la fierté nationale" . Les célébrations du 30 avril 1975 inscriront les communistes dans la droite lignée des empereurs qui ont défendu le Vietnam au fil des siècles. Mais le défilé prévu à Hô Chi Minh-Ville n'aura rien de martial. "Nous célébrons la paix, non la guerre" , dit Nguyên Thiên Nhân.

Par Jean Claude Pomonti - Le Monde - 28 Avril 2005