La mort d'André Truong, père du premier micro-ordinateur
Si l'analyse du passé évite d'en répéter les erreurs, alors il faudra se souvenir de l'histoire d'André Truong. L'homme qui le premier rêva de mettre un ordinateur dans chaque foyer et aurait pu faire de Bull un champion mondial. André Truong, fraîchement débarqué du Vietnam, décroche à la fin des années 50 un diplôme d'ingénieur de l'école française de radio électricité. Son premier truc, chez Schlumberger, c'est la datation au carbone. Il n'a pas 25 ans quand il met au point le premier carbotrimètre à transistors. Vous savez dans l'histoire de l'électronique, il y a la lampe, le transistor et la puce. Trois sauts technologiques qui permettront peu à peu à des ordinateurs grands comme des hangars de tenir finalement dans nos poches.
Et la puce, il la découvre au tout début des années 70 lors d'un voyage aux Etats-Unis dans une PME nommée Intel. Sitôt rentré, il met au point le premier micro-ordinateur du monde : le Micral, qu'il réussit à vendre d'ailleurs à quelques milliers d'exemplaires, avant d'aller benoîtement le proposer à Bull, le géant français de l'époque né de la volonté gaullienne de doter la France d'une industrie informatique. André Truong a souvent raconté l'accueil glacial qu'on lui fit alors : "Vous n'avez rien compris à l'informatique !" Dommage. Car IBM ne sortira son premier PC que 8 ans après, en 1981. Un quart de siècle plus tard, il se vend toujours chaque année dans le monde 200 millions de micro-ordinateurs.
En France, le rideau vient de tomber sur le plan calcul avec la sortie de l'Etat - c'est tout récent - du capital de Bull, devenu après maints sauvetages, une société de services parmi d'autres. Il aura coûté 8 milliards et demi d'euros aux contribuables. Et mises à part les puces de STMicroelectronics, la France n'a pas d'industrie informatique. Histoire édifiante à l'heure où l'on s'apprête à créer une agence de l'innovation industrielle et à relancer les grands programmes. On nous dit que les entreprises privées et leur sens plus aigu du marché cette fois y auront leur place et qu'on évitera ainsi les bévues d'antan. Espérons-le. André Truong lui ne sera plus là pour le voir.
Par Luc Evrard - Europe 1 - 6 Avril 2005
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