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Saigon 1975, les images d’un homme du son

Il y a trente ans, les Khmers rouges s’emparaient de Phnom Penh avant de se lancer dans un génocide qui fit 1,7 million de victimes. Deux semaines plus tard, le Vietcong, appuyé par l’armée nord-vietnamienne, entrait dans Saigon. Manuel Girardin, journaliste à la RSR, se souvient.

Lorsque Saigon tombe aux mains du Vietcong, Manuel Girardin a 30 ans. Envoyé spécial au Vietnam de la Radio-Télévision suisse romande, il assiste alors à la débâcle des troupes sud-vietnamiennes. Son appareil de photo au cou et son Nagra en bandoulière, ce grand reporter a ramené en Suisse une fascinante collection d'images et de sons. Il les met en valeur aujourd'hui sous la forme d'un diaporama présenté au Musée de l'Elysée et dans les couloirs de la RSR. A l'époque du tout numérique, ce témoignage donne aussi toute la mesure de la révolution médiatique qui sépare la guerre du Vietnam de celle en Irak.

Saigon, début avril 1975. La capitale sud-vietnamienne est aux abois. Le Vietcong se rapproche. Ne serait-ce le son des canons de 155, le bruit de la guerre n'atteint pas la ville où règne un calme étrange. «On se demandait s'il y aurait des bombardements, si tout cela allait finir dans un bain de sang», se souvient Manuel Girardin. Envoyé spécial de la Radio-Télévision suisse romande, le reporter avait su trouver les mots pour convaincre son chef de le laisser partir. «Il pensait attendre le mois de juin, raconte Girardin. Je lui ai dit que ce serait la saison des pluies. Il fallait y aller, les hauts plateaux venaient de tomber aux mains des Nord-Vietnamiens.» Trop tard pour Phnom Penh

A peine rentré d'un long voyage d'une année en Asie, le jeune journaliste se retrouve ainsi à Bangkok. En «mission d'informateur», comme le précise la lettre de créance signée par Benjamin Romieux, le chef du département de l'information de l'époque. Au départ, Girardin et le technicien Maxence Quartier visent Phnom Penh, au Cambodge. Trop tard, le 17, les Khmers rouges prennent la ville qui se voit aussitôt coupée du monde. Les deux journalistes filent alors sur Saigon.

Dans la région, le spectacle est à la débâcle. Comme en témoignent les photos de Girardin, les blindés sud-vietnamiens battent en retraite et les civils affluent sur Saigon pour tenter de fuir l'avance du Vietcong. Le reporter participe à une opération héliportée de secours à des blessés. Les photos de ce vol sont saisissantes. Mains crispées, regards apeurés, vues aériennes du delta du Mékong, le choix des angles dénote un regard de photographe chez l'homme de radio. Très rare chez les journalistes qui ramènent le plus souvent de banals clichés, tout occupés qu'ils sont au texte ou aux sons. Girardin se souvient de cette atmosphère moite, de l'odeur des fruits exotiques mêlées à la poudre de canon.

La découverte de la nuance

A Saigon, il ne reste guère plus que des journalistes dans les hôtels de la ville. «Il n'y avait presque plus d'Américains», affirme Girardin. Avec un collègue de la Radio diffusion française, il parcourt les rues de l'ancienne capitale indochinoise qui ne sait pas encore qu'elle s'appellera tout bientôt Hô Chi Minh-Ville. «Philippe Sauvagnargues avait une Coccinelle jaune qui jurait parmi les Renault 4CV et les Peugeot 203 du coin. A l'époque, il n'y avait pas le téléphone entre la Suisse et le Vietnam. On a fini par trouver un studio improvisé par des Vietnamiens pour envoyer nos textes à Paris. Les Français transmettaient nos messages aux Suisses tout en se servant.» Fait incroyable aujourd'hui, Girardin n'avait aucun contact direct avec Lausanne.

Quelques jours avant la chute de Saigon, Girardin espère changer son billet. Il aurait dû rester jusqu'en juin. Dépité, il rentre en Suisse, Bien lui en a pris, même s'il n'a pas vécu la prise de la ville en direct. Lui, au moins, a pu exploiter son matériel sonore. Au contraire de ses collègues restés sur place et priés par les nouveaux maîtres des lieux de réserver leurs commentaires à plus tard.

De cette expérience, le journaliste de la RSR a tiré une leçon essentielle: «Sur le terrain, on découvre la nuance. Il n'y a plus les bons et les méchants.» Manuel Girardin avait 23 ans en 1968. Comme beaucoup de ses congénères, il était sensible aux discours du Vietcong et des Khmers: «On voulait lutter pour un monde moins injuste. Mais ce que j'ai découvert là-bas m'a fait relativiser ces révolutions-là.»

Fin de guerres
A voir le diaporama commenté sur le site rsr.ch/vietnam et au Musée de l'Elysée à Lausanne, du 22 au 29 avril de 11h à 18h.

Par Nicolas Verdan - 24heures.ch - 16 Avril 2005