Sept pilotes de la CIA décorés pour leurs missions secrètes de ravitaillement sur Dien Bien Phu
WASHINGTON - Au printemps 1954, Allen Pope risqua sa vie pour le compte de la CIA, approvisionnant les forces françaises assiégées dans la cuvette de Dien Bien Phu. Aujourd'hui, près de 51 ans après, avec six autres pilotes survivants, il est fait chevalier de la Légion d'honneur par la France.
Ce dont il se souvient surtout, à 76 ans, c'est du courage des Français. "Ils n'ont jamais hissé le drapeau blanc", dit-il. "Il y avait des hommes sans mains, sans jambes, sans pied, des hommes sans yeux. C'était l'enfer". La chute de Dien Bien Phu marqua la fin du règne colonial français en Indochine et le prélude à l'implication américaine au Vietnam.
Jeudi prochain 24 février, six des sept pilotes, aujourd'hui presque tous octogénaires, se retrouvent à la résidence de France à Washington pour être faits chevaliers de la Légion d'honneur par l'ambassadeur Jean-David Levitte. Une cérémonie visant à commémorer un chapitre important des relations franco-américaines, du temps où elles étaient sans nuages.
"C'est un joli geste de leur part", note Douglas Price, qui avait 29 ans en ce printemps 54, quand il effectua 39 missions de ravitaillement comme pilote civil du Civil Air Transport, société dont le patron secret était la CIA. "Il y a eu beaucoup de frictions (entre Paris et Washington, ndlr) ces derniers temps", ajoute-t-il. "Peut-être qu'ils font un geste, en espérant qu'ils peuvent recoller les morceaux".
L'initiative de cette cérémonie revient à Erik Kirziger, un simple citoyen américain dont l'oncle, Norman Schwartz, était l'un de ces pilotes, abattu lors d'une mission secrète au-dessus de la Chine en novembre 1952.
En septembre 2003, alors que les relations franco-américaines étaient au plus mal pour cause d'Irak, il écrivit à l'ambassadeur Levitte: "La France avait besoin d'aide et les Etats-Unis n'ont pas ignoré votre appel. Dans le climat politique chargé d'aujourd'hui, il est important de garder présent à l'esprit qu'il y eut des occasions où nos deux grands pays ont été là l'un pour l'autre, et sans aucun doute le seront à nouveau à l'avenir".
Cette reconnaissance tardive est d'ailleurs la seule dont ont jamais bénéficié ces pilotes, envoyés incognito dans des missions périlleuses à bord d'avions non-armés: civils, employés d'une société écran, il était convenu qu'en cas de capture ou de mort, ils ne seraient pas considérés comme agents du gouvernement américain.
La CIA ne les a jamais reconnus comme ses agents, et n'a du coup pas particulièrement rendu hommage aux 37 pilotes impliqués dans le ravitaillement de Dien Bien Phu. Pas plus qu'à tous ceux ayant effectué des missions secrètes pour Air America, le successeur du Civil Air Transport, qui a cessé ses activités en 1976.
L'un d'eux, Roy Watts, a même été en justice, sans succès, pour obtenir pension d'invalidité et retraite sur la base de ses 16 années de missions secrètes en Asie pour le compte de la CIA.
Et pourtant, pour l'historien William Leary, ces pilotes furent "les vrais soldats secrets de la Guerre Froide".
Sur les 37 "ravitailleurs secrets" de Dien Bien Phu, seuls deux ont été tués en mission: le 6 mai 1954, l'avion-cargo C119 que pilotaient James McGovern et Wallace Buford, touché par des tirs au sol alors qu'il approchait Dien Bien Phu, s'écrasa au Laos tout proche.
The Associated Press - 21 Février 2005.
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