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Au Vietnam, l'opium reste l'apanage des riches et des vieux

HANOI - Allongé sur un lit en bois précieux, Hai prépare minutieusement ses boulettes d'opium qu'il fume tour à tour avec un ami dans une pipe en bambou. L'odeur est âcre et forte. C'est leur quatrième consommation du jour. Surnommé "Hai xi ke" -Hai le drogué- par ses voisins, ce toxicomane ne cache pas sa maîtrise dans l'art de la boulette, appris dans les fumeries de Hanoï depuis les années de guerre.

"La qualité de l'opium et sa préparation avant chaque consommation sont deux facteurs décisifs de notre satisfaction", dit le quinquagénaire qui fait dix ans de plus, visage austère et pâle. La drogue doit, selon lui, être brûlée par une lampe alimentée aux graisses de porc et non au pétrole. "Ces graisses sentent très bon", ajoute-t-il en buvant un thé vert fort et amer, mélangé à des tranquillisants pour partir plus loin encore. A la différence des pauvres qui fument de l'opium de troisième catégorie coupée aux plantes médicinales, Hai a les moyens de se satisfaire chaque jour d'au moins 4 ou 5 boulettes, dont chacune coûte entre 2,5 et 5 dollars. A raison de 10 à 15 dollars par jour, c'est chaque semaine jusqu'à deux fois le salaire d'un ouvrier moyen qui part dans sa toxicomanie.

"Mon père était un riche homme d'affaires à l'époque coloniale française. C'est par lui que j'ai fumé très tôt et connu des modes de choix et de préparation de l'opium qui, avec un usage modéré, est un médicament miracle", assure-t-il. "Quand tu as des douleurs musculaires, à la tête ou à la gorge, elles disparaissent immédiatement après une ou deux boulettes", dit-il.

Mais dans le monde interlope des paradis artificiels des grandes villes vietnamiennes, les deux hommes font figure de conservateurs, des aristocrates de la défonce fidèles à une méthode "classique mais noble et traditionnelle". Les jeunes citadins vietnamiens préfèrent aujourd'hui l'ecstasy ou l'héroïne. D'autres se jettent sur les amphétamines et les drogues de synthèse. "L'opium est essentiellement fumé dans les milieux aisés, chez les hommes d'âge moyen ou mûr", estime Cao Nhat Phien, responsable du département de lutte contre les "fléaux sociaux", au ministère de la Santé. "C'est assez chic et à la mode de maintenir une tradition de longue date ou d'y revenir", ajoute-t-il. "Mais les jeunes gens préfèrent aujourd'hui l'héroïne car elle est injectée directement dans le sang". "Ce ne sont que des enfants... Ils ne savent pas qu'ils sont en train de se tuer progressivement", commente l'opiomane avec dédain.

La lutte des autorités judiciaires contre le trafic de drogue, notamment les nombreuses peines de mort prononcées chaque année contre les trafiquants, n'empêche pas l'opium d'être vendu en plein jour à Hanoï. "C'est aussi facile que d'acheter un paquet de cigarettes", assure Hai. La police, de fait, est plus concentrée sur les jeunes qui se piquent dans les jardins publics que sur les quelques fumeries clandestines.

Mais la destruction massive par les autorités des cultures de pavot, jadis très développées notamment dans le nord-ouest du pays, a forcé les fumeurs à s'en procurer à l'étranger. "Plus de 90% de l'opium et des autres drogues importées au Vietnam proviennent du Triangle d'Or (Laos, Birmanie et Thaïlande) avant d'être consommées localement ou réexportées vers les marchés asiatiques ou occidentaux", assure Do Van Thanh, membre de la police anti-drogue de Hanoï. Selon lui, des centaines de petits lieux de consommation existent encore à ce jour dans le pays.

Agence France Presse - 11 Février 2005.