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L’étrange été 1950 : Indochine Le calme avant la tempête

A Saïgon et Hanoï, les militaires et les autorités civiles françaises se félicitent de l’interruption des attaques Vietminh et l’attribuent à leur politique de fermeté ainsi qu’à leur réconciliation avec Bao Daï, l’empereur play-boy.

Rue Catinat, à la terrasse du Continental, lieu de rencontre de la bonne société, les habitants de Saigon savourent l’arrêt des opérations terroristes. Le Vietminh local a été éliminé et le haut-commissaire Pignon se félicite du succès de sa stratégie. Dès 1848, il a entamé de longues tractations avec l’empreur Bao Daï, exilé à Hong Kong et sur la Côte d’Azur depuis son abdication en 1945 sous la pression de Ho Chi MInh, qui lui avait conseillé un modeste poste de conseiller.

Craignant pour sa vie, l’empereur a pris la fuite et, dans son exil doré, mène de longues et sordides tractations. Il sait que les Français ont besoin de lui et est bien décidé à monnayer chèrement son ralliement, obtenu, outre des espèces sonnantes et trébuchantes moyennant la reconnaissance de l’indépendance du Vietnam dans le cadre de l’Union française – il forme avec le Cambodge et le Laos, les Etats associés – et le droit à l’unité des trois Ky ( Annam, Cochinchine et Tonkin). Pour les Français, cela permet de mettre en œuvre la « vietnamisation » du cops expéditionnaire dont les unités métropolitaines et coloniales sont renforcées par des troupes vietnamiennes qu’il faut cependant former et qui feront preuve d’un grand loyalisme.

Certes, il y a quelques nuages sombres. La Chine populaire et l’Union soviétique ont reconnu officiellement Ho chi Minh. De plus, la défaite du Kuomintang fait que la Chine communiste occupe les régions situés à la frontière nord du Tonkin et peuvent fournir un support logistique au Vietminh. Mais la Chine est impliquée dans la guerre de Corée et doit affronter l’immense tache de la construction de son régime. De plus, les rapports entre Vietnamiens et Chinois ont toujours été hostiles au cours des siècles et le communisme ne détruit pas les vieilles haines nationales.

Le commandant en chef français, le général Marcel Carpentier, est optimiste. En juin, il a reçu 25 conseillers militaires et, dès juillet, les Américains commencent à lui livrer d’importantes quantités d’armes. De plus, les combats ont cessé. De juillet à septembre, c’est la période de mousson. Les trombes d’eau limitent les possibilités de manœuvres des troupes. On note , tout au plus, quelques attaques de postes isolés, tenus par des unités mixtes de Vietnamiens, de Marocains et de Sénégalais.

Dans cette atmosphère irréelle, on prépare l’offensive d’octobre en direction de la RC4 qui monte vers le nord du Tonkin. Les officiers supérieurs français ne sont d’accord sur rien tant ils sont jaloux de leurs prérogatives respectives et n’ont pas de mots assez durs pour qualifier leurs collègues. Les deux principaux généraux, Alessandri et Carpentier, se rendent à Paris pour faire prévaloir leur point de vue. Alessandri explique au gouvernement : « Tout va bien, mais je préfère battre les Viets en bordure du delta : il vaut mieux peut-etre évacuer Cao Bang dans le nord, à la frontière avec la Chine ». Ce n’est pas l’avis de Carpentier qui explique au Président du Conseil, René Pleven : « Tout va bien, mais je vais aller écraser Viets chez eux, dans leurs repaires. Il faut à tout prix garder Cao Bang ». Rappelé en consultation, le Haut-Commissaire Pignon louvoie mais finit par donner raison à Carpentier, puisqu’il est le commandant en chef. Ce qui ne l’empêche pas de jouer sur les deux tableaux et de dire à Alessandri : « Rejoignez l’Indochine ; vous vous y connaissez mieux ».

On prépare l’offensive française. On n’imagine pas que le Vietminh en fait de même. Pourtant, comme le rapporte Lucien Bodard, « un jour, une patrouille de Cao Bang, qui s’est enfoncée plus loin que d’habitude vers la Chine, débouche sur une route toute neuve, portant des traces de roues. Les soldats se saisissent d’un vieux monsieur annamite à cheval, qui se trouve être l’ingénieur vietminh dirigeant les travaux. Et très urbainement il explique : « Quelle surprise de vous rencontrer. Je venais voir si la chaussée avait résisté aux dernières pluies. On l’a achevée il y a à peine quinze jours. A ce moment-là, vous auriez vu des milliers de coolies remuant la terre avec les pioches. C’est moi qui ait fait tous les plans. Vous comprenez, j’ai fait toutes mes études en France ».

Le vieux monsieur est envoyé à Saigon où on ne le l’interroge guère. Erreur fatale s’il en est. A la fin de la mousson, l’offensive française lancée vers la RC4 se terminera par un désastre qui provoquera l’envoi en urgence du général de Lattre de Tassigny. Mais l’été 50 avait été calme, si calme.

Par Patrick Girard - Marianne - 27 Juillet 2005