Vivre en concubinage, une nouvelle tendance chez les jeunes
Certains jeunes vietnamiens ont actuellement tendance à cohabiter avant le mariage. Une nouvelle génération en quête de liberté.
D'avril à décembre, l'Association vietnamienne de planning familial, celle des étudiants vietnamiens et le ministère de l'Éducation et de la Formation organisent un programme intitulé "La santé et la vie scolaire". L'objectif : approcher cette année 70.000 étudiants et élèves de 100 écoles supérieures et lycées dans 37 villes et provinces du pays afin de les informer des questions délicates que sont psychophysiologie, amitié, amour, mariage, sexualité, relations sexuelles, contraception, protection contre le VIH/sida et les maux sociaux.
"C'est une occasion pour des dizaines de milliers d'étudiants et de lycéens d'échanger ouvertement avec des consultants à propos de leurs préoccupations inavouées, leurs pensées cachées. En fait, ce programme part d'une triste réalité : le taux de plus en plus élevé de relations sexuelles prénuptiales, des avortements et du concubinage chez une partie de la jeunesse actuellement. Cette situation montre la dégradation non seulement de la moralité chez les jeunes en général, mais aussi rejaillit sur la santé, les études et donc sur la qualité future des ressources humaines du pays", alerte Chu Thi Xuyên, vice-présidente de l'Association vietnamienne de planning familial, en expliquant le moteur du programme.
L'union libre vue par les spécialistes
Selon Mme Xuyên, le concubinage rapporte peu, mais fait perdre beaucoup, surtout pour les jeunes filles. De sa récente enquête ressort un résultat négatif : 80 % des garçons se sont enfuis après avoir provoqué la grossesse de leurs partenaires ! "L'irresponsabilité en est partiellement la cause. Mais la plupart ont eu peur", indique-t-elle. Les filles abandonnées sont alors tombées dans la crise, voire la dépression. L'amour idéal s'est écroulé, la confiance en l'autre est perdue. "Il est très difficile pour une concubine de trouver plus tard un homme qui saura partager avec elle. Ou bien, si elle peut cacher son +secret+, elle aura toujours peur que son mari découvre son passé. Ces blessures spirituelles sont beaucoup plus béantes que celles corporelles", conclut la vice-présidente.
Plusieurs spécialistes familiaux et culturels ne soutiennent pas la cohabitation, mais pensent qu'il faut l'accepter comme une évolution nécessaire de la société moderne. Et pour en amoindrir les conséquences, les jeunes doivent être informés de manière appropriée. Aux yeux des sociologues, le concubinage est une question délicate dont on parle avec réticence. C'est aussi une question complexe pour les partisans de la cohabitation et de toute la société. Le docteur ès philosophie Nguyên Ninh Khiêu est un chercheur sur la famille et l'enfance. Selon lui, ce phénomène est encore nouveau au Vietnam. Mais en Occident, dans les années 1960-1965, lors de la révolution sexuelle, l'union libre avant le mariage était très courante. "L'homme et la femme se rencontrent et cohabitent pendant un certain temps, puis ils se séparent et chacun vit avec un autre partenaire. Ce n'est pas une bagatelle, mais un amour véritable. Tout est sérieux", juge-t-il.
Analysant les causes de ce nouveau mode de vie, le docteur Khiêu et ses confrères affirment que c'est le résultat de l'évolution sociale, de la recherche d'autonomie des jeunes modernes. Le concubinage, selon M. Khiêu, est incité par trois raisons directes. D'abord, les conditions économiques insuffisantes ne permettent pas encore au jeunes de se marier, d'acheter une maison et d'établir une vie familiale. Ensuite, la plupart des concubins vivent loin de leurs familles, et donc de la gestion parentale. Ils peuvent ainsi vivre à leur guise. Enfin, les amoureux veulent satisfaire leur sexualité.
Le concubinage subsisterait
Pour sa part, la Dr Nguyên Thi Hoài Duc prône le raisonnement de la famille comme noyau de la société. S'il n'y avait que des jeunes désireux de cohabiter sans s'engager de façon stable, alors la société deviendrait "extrêmement déséquilibrée" et n'aurait jamais de grands savants. "En réalité, presque tous les hommes de génie comme Beethoven, Mozart et Bill Gates étaient des enfants de bonne souche, issus de familles où régnaient la discipline et l'ordre", souligne-t-elle.
Bien que n'ayant effectué aucune enquête sociologique, la Dr Duc pense que peu de mariages succèdent à la cohabitation à l'essai. La raison : quand on est amoureux, tout est rose, mais une fois ensemble, la vie est plus dure. "Pas de contrat de mariage, les partenaires n'ont aucun lien juridique ni de responsabilité. Ils peuvent ainsi se séparer facilement, laissant derrière eux de graves conséquences", dit-elle. Ayant travaillé à l'hôpital central obstétrique, la docteur Duc peut témoigner de nombreuses tragédies de la cohabitation : avortements, suicides après la séparation, enfants non reconnus. "En Occident, après l'essor du concubinage, le changement des relations familiales, on reconnaît aujourd'hui l'impact négatif que cela a eu sur le développement social durable. Quant au Vietnam, le phénomène pourrait exister encore au cours de plusieurs dizaines d'années si les jeunes ne sont pas informés de manière appropriée", souligne-t-elle.
Par Hông Nga - Le Courrier du Vietnam - 24 Juillet 2005
Les ados vietnamiens et la bagatelle
L'âge du premier rapport sexuel chez les adolescents vietnamiens est maintenant de 14,5 ans, contre 19 ans auparavant. Le pays serait-il en train de vivre une petite révolution sexuelle ?
La société vietnamienne est en pleine mutation socio-économique. La sexualité n'échappe pas à la règle. Sous-directrice de l'hôpital Tu Du à Hô Chi Minh-Ville, qui dispose du service de gynécologie obstétrique le plus réputé du Vietnam, la Dr Huynh Thi Thu Thuy se montre soucieuse : "De plus en plus de mineures se font faire des IVG (Interruption volontaire de grossesse). En plus, les jeunes ont souvent des idées aberrantes sur le sexe, faute de connaissances en la matière".
Selon une étude réalisée à Hanoi et Hô Chi Minh-Ville, publiée récemment par l'Association vietnamienne de planning familial, il y a seulement quelques années, l'âge du premier rapport sexuel était de 19 ans. Maintenant, on l'estime à 14,5 ans. Toujours selon cette source, l'âge de la puberté est de 10 ans. L'amour précoce chez les ados est un phénomène réel. Certains tirent la sonnette d'alarme.
Lê Thi Ngoc Bích est chercheuse au Centre consultatif de l'éducation sexuelle et du développement communautaire, relevant de l'Association vietnamienne de planning familial. Elle vient d'achever son étude sur les "Affaires de cœur" chez les mineurs de la capitale. Résultats : 96 % des lycéens déclarent être tombés amoureux pendant leur scolarité, presque 70 % des interrogés pensent que "c'est monnaie courante". Les flirts, les amours platoniques, c'est bien normal à l'adolescence. Mais faut-il pour autant passer à l'acte. À la question : "Peut-on avoir des relations sexuelles avant le mariage, pourvu que les partenaires parviennent à une union conjugale ?", plus de 10 % ont répondu "oui", 22 % étaient indécis, le reste a dit "non". Cependant, le taux de "oui" chez les garçons était beaucoup plus élevé que chez les filles (23 % contre 2 %).
Éducation sexuelle sur internet
Selon Nguyên Thi Mùi, psychologue et enseignante à l'École normale supérieure I (Hanoi), ce phénomène a diverses causes, dont le bombardement médiatique. "Actuellement, la société vietnamienne a accès à tous les supports de diffusion de l'information : télévision, livre, DVD, presse et surtout internet. Le web peut être pernicieux quand les jeunes naviguent sur des sites érotiques ou pornographiques. Certains types de littérature ou de films éveillent aussi la sensualité des ados. À la jeunesse de savoir dire "non" à ce type de contenu", considère-t-elle.
Ce jugement est partagé par la docteur Phan Hông Anh, chargée de cours d'éducation sexuelle pour mineurs à l'École supérieure de médecine et de pharmacie de Hô Chi Minh-Ville. D'après elle, plus la société se développe, plus le niveau de vie s'améliore. Et plus l'enfant est bien soigné, plus il fait preuve d'une maturité précoce. "Aimer, c'est bien normal à la puberté. Mais l'important, c'est que les jeunes sachent distinguer l'amour sentimental de l'amour sensuel. Pas mal de mineurs confondent en effet les désirs et plaisirs charnels avec l'amour véritable", explique-t-elle.
Parler du sexe aux ados ou non ?
Selon des psychologues, la plupart des parents vietnamiens laissent aux établissements scolaires le soin de faire l'éducation sexuelle de leur progéniture. Certains d'entre eux le voient d'un mauvais oeil et estiment que ce genre d'information dévergondera leurs enfants. D'après Chu Thi Xuyên, vice-présidente de l'Association vietnamienne de planning familial, dans certains pays occidentaux, le sexe n'est pas un sujet tabou au sein de la cellule familiale, le père pouvant parler ouvertement à son fils de l'importance d'utiliser des préservatifs dans les rapports sexuels, sans pour autant l'inciter à passer à l'acte. C'est d'autant plus important que le sida ne frappe pas que les homosexuels, les drogués ou les prostitués, et qu'inciter ses enfants à "sortir couvert" peut leur sauver la vie. "Il est regrettable que ce sujet soit considéré comme vulgaire, voire tabou dans bien des familles vietnamiennes", déplore-t-elle.
Libéralisation économique, libération des mœurs. Ces deux phénomènes iraient-ils de paire ? Quoiqu'il en soit, c'est un fait que les ados vietnamiens, et plus particulièrement les jeunes citadins, s'affranchissent de plus en plus des codes moraux que s'étaient imposés leurs parents en matière sexuelle. Certains dénoncent - encore ! - l'influence grandissante de la culture occidentale qui pervertirait la jeunesse. Une vieille rengaine. Plutôt que de dénoncer les causes - sur lesquelles il est bien difficile d'agir -, essayons plutôt de parler ouvertement de la sexualité au sein de la société, et ce jusqu'au sein des familles. Pour éviter que trop de lycéennes n'aillent grossir les rangs des candidates à l'avortement...
Par Hông Nga - Le Courrier du Vietnam - 24 Juillet 2005
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