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Art du Vietnam au musée Guimet

Le musée Guimet à Paris expose à partir de mercredi les chefs-d'oeuvre de l'art du royaume vietnamien disparu du Champa Ce royaume s'est développé et a prospéré du Ve au XVe siècle dans le centre et le sud du Vietnam. Ses vestiges enfouis dans la jungle ont été redécouverts à la fin du XIXe. Un total de 96 sculptures en grès et bronze, ou pièces d'or et d'argent, issues de temples en brique souvent détruits, sont réunis au musée Guimet.

Les Chams sont aujourd'hui une des 54 minorités ethniques du Vietnam, forte de quelque 130.000 personnes vivant essentiellement dans la région de Phan Rang. L'histoire ancienne de leur royaume est mal connue, indique Pierre Baptiste, commissaire de l'exposition avec Thierry Zéphir. "Les premiers Chams sont venus vers le Ve siècle avant notre ère, peut-être de la péninsule malaise", raconte-t-il. Après une période d'apogée au Xe siècle, le royaume périclite au XVe avec l'arrivée du Dai Viet (Vietnam).

"Dès le 1er siècle, on constate l'influence de l'Inde, ils adoptent le sanskrit, les moines viennent enseigner la bonne parole bouddhique, les brahmanes apportent l'hindouisme", explique M. Baptiste. "Entre le IIIe et le Ve siècle, ils montrent tous les fondements de la pensée indienne, c'est au Champa que l'on trouve les oeuvres les plus indianisées de l'Asie du Sud-Est", ajoute-t-il. La statuaire, présentée par ordre chronologique, évoque les deux grandes religions indiennes, le bouddhisme et le brahmanisme, dont le culte coexistait au Champa. Du VIIe siècle, une stèle porte une invocation à Shiva, un linteau montre Vishnu couché sur le serpent Ananta et la naissance de Brahma qui va créer le monde.

Un Bouddha du VIIIe-IXe, "trésor national" prêté par le Vietnam ou un Bodhisattva découvert en 1978 par un paysan qui cherchait des briques, attestent du bouddhisme. Une salle est entièrement consacrée à My Son, un site classé au patrimoine mondial de l'Unesco. Ses dikpala, gardiens de l'espace, qui protégeaient les points cardinaux, dispersés dans trois musées du Vietnam, sont réunis pour la première fois depuis 1903. Enfin, des photos anciennes, des dessins et un film des années 20 évoquent les premiers travaux des archéologues de l'Ecole française d'Extrême-Orient (EFEO) à qui ont doit les premières mises au jour au début du XXe siècle.

Les deux tiers des oeuvres exposées ont été prêtées par le Vietnam, les musées de Da Nang et de Ho Chi Minh-Ville, de My Son. S'y ajoutent des oeuvres conservées au Musée Guimet, au musée Rietberg de Zürich et au muséum de Lyon.

France 2 TV - 11 Octobre 2005


Ouverture de l'exposition "Trésors d'art du Vietnam - la sculpture du Champa" en France

PARIS - Une exposition intitulée "Trésors d'art du Vietnam - la sculpture du Champa" s'est ouverte solennellement mardi au Musée national des Arts Asiatiques Guimet de Paris (France). Y étaient présents, entre autres, le vice-ministre vietnamien de la Culture et de l'Information, Le Tien Tho, et la ministre française déléguée de la Coopération, du Développement et de la Francophonie, Brigitte Girardin.

Le vice-ministre vietnamien a fait savoir que c'était la première fois qu'une sélection précieuse comprenant des oeuvres de sculpture du Champa, héritage culturel du Vietnam, s'expose en France. L'exposition, ouverte jusqu'au 9 janvier, manifeste la bonne amitié, la coopération culturelle entre les deux pays, le renforcement et la coopération globale entre les deux pays, a-t-il dit.

Pour sa part, la ministre Brigitte Girardin a estimé que l'exposition contribuerait au développement de la compréhension multuelle, au renforcement des échanges culturel et artistique et à la création des conditions pour le public de France de mieux comprendre l'ancienne histoire du Vietnam et de l'Asie du Sud-Est. Elle a fait savoir que la France aidait le Vietnam dans la préservation des héritages culturels par le biais du programme de réhabilitation et de modernisation de cinq musées nationaux du Vietnam.

A cette occasion, le Musée Guimet présente également des livres et des publications sur la culture, l'art, le pays et l'homme vietnamiens.

Agence Vietnamienne d'Information - 11 Octobre 2005


Festin de pierre

Il y a des noms qui résonnent de l'irrépressible nostalgie des rêves à jamais perdus. «Champa» est de ceux-là. La mendiante de l'India Song de Duras, exilée des rives du Mékong à celles du Gange, chante dans sa complainte la fleur du Champa. Ce pourrait être la bande-son de la promenade à laquelle invite le musée Guimet, à Paris, pavane pour un empire englouti, dont l'existence n'est plus attestée que par quelques étranges phallus monumentaux de brique et de pierre, plantés le long de la mythique «route mandarine». Et des statues ou bas-reliefs exhumés il y a un siècle par les colons ­ puis les archéologues ­ français, dans ce qui était alors l'empire d'Annam.

A travers 96 d'entre elles, le visiteur découvrira ce que le commissaire de l'exposition, Pierre Baptiste, définit comme «un art entre deux mondes». Celui de l'Inde et celui de la Chine, entre lesquelles le Champa fit longtemps le lien, commercial et esthétique. Art longtemps parent pauvre de l'Asie du Sud-Est, car éclipsé par celui d'Angkor (Cambodge) et celui de Borobudur (Indonésie), plus monumentaux, mieux conservés et, surtout, iconiques de nations modernes. Le Champa, lui, n'est depuis longtemps plus qu'une puissance invisible comme la mendiante de Duras. Laquelle peut être l'âme errante de la devi, cette déesse cham altière et gracieuse qui illumine l'exposition de son sourire un peu triste. Une des plus belles sculptures de femme jamais sortie des mains d'un homme, trouvée en 1911, cachée dans un petit temple du village vietnamien de Hong Quê.

Plaisir. En 1285, Marco Polo est envoyé par Koubilaï en ambassade dans «une contrée appelée Ciamba, qui est une terre très riche et grande. Ils ont roi à eux et leur propre langage, et sont idolâtres...». Chaque année, dit-il, les Chams versent «au grand Khan pour tribut vingt éléphants, les plus beaux et grands qu'il puisse trouver en sa terre, et du bois d'aloès en grande quantité...». Mais ce qui frappe le plus Marco Polo, c'est qu'«en ce royaume ne se peut marier nulle belle damoiselle si [le roi] ne l'a vue auparavant. Si elle lui plaît, il la prend pour femme...». Moyennant quoi, le souverain que rencontre le Vénitien «en ce temps avait 326 enfants».

Quelques années plus tard, frère Odoric de Pordenone, reçu à la cour de Vijaya (une des capitales du Champa), note, lui aussi, que le roi «avait bien 200 enfants... plusieurs femmes épousées et un grand nombre de concubines», outre «bien 14 000 éléphants domestiqués», mais que les veuves sont tuées à la mort du souverain. Le Marocain Ibn Battuta, au XIVe siècle, décrit un royaume (sans doute imaginaire) que dominent les femmes et le plaisir. C'est que le Champa était le pays du phallus roi. La religion des Chams tournait autour du culte du linga, représentation de Shiva, divinité de la fertilité mais aussi de la destruction des mondes, monolithe dressé au centre des sanctuaires. L'exposition montre un bel exemple de cette image de la sainte trinité hindouiste (Vishnou, Brahma, Shiva), à trois sections, carrée, octogonale et circulaire, encastrée dans un piédestal carré, qui est la yoni (vulve) de la devi, l'épouse du dieu.

Il était au Champa recouvert du kosa, sorte d'étui pénien d'or, d'argent et de pierres précieuses, dont la pierre sacrée recouvrait le gland. On ne l'en ôtait que pour les cérémonies rituelles d'aspersion par les cinq nectars (lait, yaourt, beurre, miel et sucre). Chaque pierre est Shiva, mais aussi le roi, incarnation du dieu, et chacune est aussi une carte magique du royaume. Si elle est arrachée, c'en est fini de la dynastie. Et du pays.

Sanctuaires. De ce que fut réellement le Champa, on sait à vrai dire peu de chose, glané dans les chroniques impériales chinoises et vietnamiennes, ainsi que dans les inscriptions, en sanscrit, découvertes sur les sites des sanctuaires que les rois ne cessaient d'édifier ou d'étendre pour manifester leur pouvoir. Pour faire rapide, les Chams, venus par la mer de l'archipel indonésien (Bornéo, Aceh), étaient cousins des Malais, Javanais et Philippins. Ils peuplèrent les étroites plaines côtières entre mer de Chine et cordillère Annamitique à partir de 1000 av. J.-C., y développèrent une civilisation très indianisée et raffinée, et des royaumes puissants entre les Ve et XVe siècles.

De ces royaumes du Champa, rivaux de l'empire khmer d'Angkor (qui s'étendait sur le delta du Mékong, le sud du Vietnam actuel) et de l'empire Dai Viet (centré sur le delta du fleuve Rouge, le nord du Vietnam), ne restaient, à l'arrivée des Français au XIXe siècle, que d'énigmatiques tours de plusieurs dizaines de mètres de hauteur, les kalan, et quelques centaines de milliers de Chams, certains islamisés, d'autres pratiquant un brahmanisme abâtardi. «Le Champa reste un mystère, c'est ce qui fait son attrait», reconnaît Pierre Baptiste.

Martyrisé. Pendant la guerre du Vietnam, les sanctuaires, transformés en camp retranché par la guérilla vietcong, et le musée d'Art de Da Nang, devenu caserne de l'armée sud-vietnamienne, furent bombardés par l'un et l'autre camps. Le plus grand vestige du Champa, My-Sôn, fut réduit en poussière par les B 52 de l'US Air Force en 1969. «L'art du Champa a été martyrisé pendant des siècles», rappelle Pierre Baptiste. Le miracle est qu'il ait survécu ­ au musée de Da Nang, à Guimet, au musée d'Histoire de Saigon-Hô Chi Minh-Ville et dans quelques collections privées, d'où viennent les sculptures montrées à Paris, pour la première fois hors du Vietnam, et qui n'avaient pas été rassemblées depuis un siècle.

Depuis 2001, l'Ecole française d'Extrême-Orient (Efeo) a repris sa coopération avec le Vietnam pour préserver et restaurer les grands sites chams et le musée de Da Nang. Cette «résurrection» s'incarne dans le chef-d'oeuvre qu'est la grande Tara de Dong Duong, bronze hiératique du tournant du Xe siècle incrusté d'or, d'argent et de pierres précieuses. Elle fut découverte par un paysan en 1978, enfouie à un mètre de profondeur dans un lit de brique et de sable, sans doute par des moines pour la préserver du pillage.

Mais la saga tragique du Champa n'enlève rien à l'attrait d'un art qui, dans sa plasticité, son sens du mouvement, son goût du corps, son sens de l'humour, l'exubérance baroque de son bestiaire fantastique de serpents naga, d'oiseaux garuda, de dragons makara, de lions bondissants et d'éléphants dansants, ses cohortes de danseuses célestes, de musiciens, d'ascètes et de génies menaçants, est peut-être le plus proche du regard occidental de tous les arts d'Extrême-Orient. Le yaksa (génie) de Tra Kieu (VIe siècle) semble tout droit sorti d'un Gauguin. Et le Shiva qui danse sur le grand tympan de My-Sôn (VIIIe siècle) n'évoque-t-il pas la Joie de vivre de Picasso ?

La sculpture du Champa, trésors d'art du Vietnam au musée des Arts asiatiques Guimet.
Tlj sf mardi, 10 h-18 h. Entrée : 6,5 € (dim. 4,5 €)
Jusqu'au 9 janvier. Tél. : 01 56 52 53 00. www.museeguimet.fr
Catalogue 400 pp., 49 €.

Libération - 12 Octobre 2005