Vietnam : un cinéma à reconstruire
Avec sa production entièrement nationalisée, la pauvreté de ses
budgets, le Vietnam reste un pays dont le cinéma est encore à venir.
Se présentant comme le premier film vietnamien distribué
commercialement en France, L'Immeuble constitue une sorte
d'événement, moins pour ses qualités cinématographiques que pour
ce dont il constitue le symptôme.
Réalisé dans les studios d'Hô Chi Minh-Ville, le film raconte l'histoire
d'un immeuble de la ville de la fin de la guerre, en 1976, jusqu'à
aujourd'hui. Grand hôtel international avant la prise de Saïgon par les
communistes, il est devenu logement collectif pour d'anciens
combattants revenus du maquis.
C'est un vieil homme, ancien portier de l'hôtel devenu le gardien de
l'habitation, véritable page blanche sur laquelle devra s'inscrire toute
l'expérience positive que lui apportera sa nouvelle tâche, qui
constituera le témoin des changements divers signifiant le passage
du temps.
MENUES CONTRADICTIONS
Les considérations sur le partage démocratique des tâches,
l'autodiscipline, les aphorismes sur l'égalité, l'exaltation d'un passé
héroïque récent, constituent ainsi les étapes obligées d'un récit qui
met en scène un microcosme humain à peine traversé par de
menues contradictions, vite résolues, parfois par l'autocritique.
Tham est au centre d'une collectivité dont on sent bien qu'elle n'est
que la métaphore d'une société idéalement unanime, c'est-à-dire
entièrement domestiquée. Gestes et dialogues sont, dès lors,
surdéterminés par une signification univoque et dégagée de tout
doute.
Au plomb idéologique qui pèse sur l'immeuble s'ajoute l'absence de
plan authentiquement capté dans les rues de la ville. Le réel est ici
remplacé par la sobriété rigide de séquences données en studio avec
une platitude confondante. La maladresse avec laquelle est conduit
le récit rend par ailleurs confus le sentiment d'un passage des ans.
Art naïf et émotion kitsch définissent ainsi une oeuvre dont on sait
bien que son sujet (une métaphore de la société vietnamienne) a été
passé au crible d'une surveillance drastique. Pourtant, dans sa
dernière partie, L'Immeuble entre dans une nouvelle dimension.
Certains des habitants du lieu, enrichis, déménagent et l'endroit est
en passe d'être racheté et détruit par des investisseurs étrangers.
RÉVOLTE ESQUISSÉE
Ce destin, qui provoquera la disparition du
héros, semble témoigner d'une nostalgie de l'immédiat après-guerre.
Mais il est même, bien au-delà, possible de saisir, à travers le
désespoir du vieil homme et la révolte esquissée des habitants les
plus jeunes, une critique larvée du mercantilisme que l'ouverture du
marché apporterait inévitablement au Vietnam. A défaut d'être un bon
film, L'Immeuble est au moins le témoin de cette sensibilité
particulière.
par Jean-François Rauger - Le Monde -, le 25 janvier 2000.
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