Les vétérans du Vietnam à la conquête d'autres médailles
SALT LAKE CITY - "Lorsque j'étais à l'hôpital militaire, en 1969, des bénévoles m'ont proposé de faire du ski. Ça a
été une révélation. Je me suis mis à penser à tout ce que je pouvais faire." Kirk Bauer raconte
son histoire sans frémir. C'est au Vietnam que le directeur exécutif national de Disabled Sports
USA, la Fédération américaine de handisport, a perdu sa jambe, à la fin des années 1960.
Comme beaucoup de soldats américains mutilés à cette époque, il a appris à se réinsérer grâce au
sport. Il est aujourd'hui responsable de la politique handisport aux Etats-Unis. A Salt Lake City, où
les Jeux paralympiques devaient s'achever, samedi 16 mars, son exemple illustre le système de
recrutement et le fonctionnement du handisport outre-Atlantique.
Sans la deuxième guerre mondiale et le conflit du Vietnam, ce versant méconnu de la puissance
sportive américaine ne serait pas devenu ce qu'il est : une machine à médailles. La plupart des
postes- clés de la Fédération US sont en effet détenus par des vétérans du Vietnam. Et même si
les athlètes militaires ne sont plus qu'une vingtaine en équipe nationale, l'ombre de l'armée plane
encore sur elle.
Tout a commencé en 1946 quand, au sortir de la deuxième guerre mondiale, The Paralyzed
Veterans of America (PVA) voit le jour. Très active, cette association pour la réinsertion des
paralysés de guerre va directement à la rencontre des victimes du
conflit et gonfle ainsi les effectifs de l'équipe handisport nationale. Dans
les années 1950, les pratiquants se dirigeaient surtout vers le
basket-ball.
"Les progrès de la médecine ont accru le nombre de vétérans handicapés lors de la guerre du
Vietnam, analyse Kirk Bauer. Nous étions jeunes, très actifs, sportifs pour la plupart avant notre
mutilation. Les opportunités de réinsertion étaient rares. Il a fallu en créer : le phénomène handisport
s'est développé."
Un homme charismatique
Jack Benedick est, lui aussi, un ancien du Vietnam. Grand homme à la voix et aux mains tremblantes, le
directeur technique de l'équipe américaine du ski alpin a le verbe dur : "Nous sommes par tradition des
challengers, des combattants et c'est pour cela que nous voulons être les meilleurs. Encore
aujourd'hui." Ancien skieur handicapé (il est amputé des deux tibias), il accompagne aujourd'hui l'équipe de
ski alpin à Salt Lake City et jouit d'une incroyable popularité.
"C'est un homme charismatique qui sait diriger, rapporte un membre de l'équipe norvégienne. Un
militaire, en somme." Pour faire partie des meilleurs, Jack Benedick ne voit qu'une solution : exiger
l'excellence, technique et humaine.
Cette recette, qui est également le credo de l'armée américaine, John McCollough l'applique, lui aussi. Joueur
de football depuis sa plus tendre enfance, il a embrassé très jeune une carrière de garde-frontière dans
l'US Navy. A 20 ans, un accident de pleine mer l'a handicapé gravement. Il a dû réapprendre l'usage de la
parole, mais pas celui du ballon rond. Aujourd'hui, à 36 ans, il fait partie de l'équipe nationale pour
handicapés.
A Salt Lake City, sa notoriété lui a valu le poste de médiateur entre cadres et athlètes américains. "La PVA
est l'association pour handicapés la plus dynamique des Etats-Unis, explique-t-il. Or, elle ne s'occupe
que des paralysés. Il existe pourtant une multitude de handicaps. Du coup, nos performances dans les
disciplines à fauteuils sont excellentes mais beaucoup plus aléatoires dans les autres catégories."
Par Anne-Lise Polack - Le Monde - le 14 Mars 2002.
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