~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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Les dents du vent

Entièrement détruite par les bombardements américains, la ville vietnamienne de Dong Hoi n'offre aucun intérêt, si ce n'est la proximité des grottes de Phong Nha (« les Dents du vent »), récemment classées par l'Unesco au Patrimoine mondial de l'humanité. Mais le vrai patrimoine de Dong Hoi, c'est sa jeunesse. Dans cette région la plus pauvre du Vietnam, le seul moyen de « s'en sortir » c'est d'étudier. Les jeunes sont studieux et le plus bel immeuble de la ville est l'école normale. Comme dans la France du XIXe siècle, où les instituteurs se recrutaient dans les zones déshéritées des Hautes-Alpes ou du Massif central, le Vietnam trouve ses futurs enseignants là où la terre est ingrate, l'industrie rare et le tourisme inexistant : à Vinh, également rasée par les bombes, deux lycéens viennent d'obtenir des médailles aux olympiades mondiales de mathématiques.

Le mois dernier, à l'Opéra de Hanoi, une association scientifique franco-vietnamienne, Rencontres du Vietnam, remettait des bourses aux meilleurs lycéens et étudiants du pays, parmi lesquels se trouvaient des orphelins de villages d'enfants. Imagine-t-on, à l'Opéra de Paris, les élèves de Louis-le-Grand avec les Orphelins-Apprentis d'Auteuil ? Pour un esprit occidental, tout cas social est un échec scolaire et il finit par le devenir pour ne pas décevoir les attentes négatives.

Inversement, un statut social élevé exige la réussite scolaire car un « bon » lycée doit être bourgeois. Dans une classe du « neuf-trois », il est mal vu de bien répondre au professeur, mais dans une classe d'Henri-IV, il est humiliant pour l'élève de ne pas avoir la réponse. Il y a un large consensus pour que rien ne change l'ordre des mérites ni le palmarès des établissements. La reproduction sociale est l'addition de l'égoïsme de droite et du conformisme de gauche.

Dans le Vietnam communiste et confucéen, les études sont populaires et les savants honorés, d'autant qu'un pays pauvre n'a d'autre richesse que sa matière grise. Les élèves n'ont pas de jeux vidéo ni de télé- réalité pour les distraire de leurs devoirs et la société de consommation se limite à une bicyclette pour deux ou une moto pour trois. L'ordre social et moral exige la discipline qui, à son tour, favorise les études : chaque semaine, il y a un lever des couleurs à l'école et les élèves saluent le drapeau au garde-à-vous avant d'écouter le sermon du proviseur et les cours des professeurs.

Bien sûr, il y a un excès de soumission dans ce système autoritaire comme il y a un excès de rébellion dans nos écoles à problèmes. Il nous faut prendre dans ce modèle exotique ce qui nous semble transposable en tenant compte des différences de niveau de vie et de mode de pensée. Et en nous souvenant que la France s'implanta au Vietnam à l'initiative de Jules Ferry, le père de l'école laïque.

Par Odon Vallet - La Croix - 22 Octobre 2002.