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Une île déserte pour guérir les toxicomanes

VAN CANH - Sevré de ses doses d'héroïne quotidiennes, Nguyen, arrivé depuis une semaine au Centre de désintoxication de l'île de Van Canh, affirme avoir déjà retrouvé le goût de vivre. "Je suis en meilleure forme et j'ai la volonté de m'en sortir", déclare, souriant timidement sous le soleil, Nguyen au correspondant de l'AFP autorisé pour la première fois à visiter ce centre unique au Vietnam, installé début 1999 sur une île inhabitée de 20 km2, à 15 km de la côte de la province de Quang Ninh (nord).

Comme 150 autres jeunes toxicomanes, tous de sexe masculin, Nguyen, 28 ans, a choisi volontairement de rejoindre ce centre où il va passer un an pour tenter de décrocher définitivement de la drogue. Le centre de Van Canh, dirigé par le docteur Nguyen Viet Trac, médecin de l'armée vietnamienne pendant 20 ans, est situé à l'est de cette île aux collines couvertes de forêt tropicale et entourée de petites plages. Occupant 3 hectares de l'île, il dépend des autorités provinciales et a pour particularité de ne proposer aux toxicomanes, pour la plupart intoxiqués à l'héroïne, aucun produit de substitution, mais une cure basée sur une méthode psychologique mise au point par le Dr Trac.

"Ici, pas de méthadone, pas de produits de substitution, les seuls médicaments fournis à nos pensionnaires sont des tranquilisants, utilisés pendant les 7 premiers jours de la cure, lorsqu'ils sont en état de manque aigu", précise le Dr Trac. "Mais cet état de manque passe vite et les toxicomanes, sachant qu'ils n'ont aucune chance de se procurer de la drogue sur l'île n'ont ensuite d'autre recours que l'aide psychologique que nous leur apportons", ajoute le médecin. Dans la majorité des cas, "l'état de manque s'atténue en 5 à 6 jours et leur état mental et physique s'améliore très rapidement", selon lui. "Dès cette première phase les jeunes gens commencent à reprendre du poids, de 3 à 6 kg en quelques semaines", dit-il.

"L'environnement de l'île et le calme absolu qui y règne -elle n'est peuplée que de sangliers, singes, cerfs et oiseaux - joue un rôle important dans la réussite de la cure", ajoute le Dr Trac. "Le matin nous cultivons les légumes pour nos repas, puis on fait la cuisine, l'après-midi est consacrée au sport et nous trouvons toujours quelqu'un pour nous écouter, pour comprendre nos problèmes", déclare Phan Van Loi, 24 ans, qui était mécanicien avant de sombrer dans l'héroïne. En dehors des toxicomanes, les seules personnes à avoir accès à l'île sont les deux médecins du centre, deux aides-soignants, 16 éducateurs, 7 policiers chargés d'assurer l'ordre et une dizaine de membres du personnel administratif.

L'île de Van Canh a été classée "île isolée" par les autorités provinciales et aucune embarcation ne peut approcher à 100 mètres de ses côtes. La province de Quang Ninh, frontalière de la Chine, compte plus de 3.000 jeunes toxicomanes, sur une population d'un million d'habitants, selon les estimations des autorités. "Il est encore trop tôt pour disposer de chiffres sur une longue période, mais sur la centaine de toxicomanes qui ont suivi notre cure de désintoxication et ont regagné leur famille à son issue, nous n'avons enregistré que 20% de rechutes", selon M. Trac.

Chaque toxicomane doit apporter au centre une contribution de 2,5 millions de dongs (175 USD) -une somme importante dans un pays où le revenu moyen annuel n'atteint que 300 dollars par habitant- et la majorité de ceux qui suivent cette cure sont des jeunes fonctionnaires et des enfants de "familles aisées". Depuis l'ouverture du centre, doté d'un budget annuel de 1 milliard de dongs (70.000 dollars), "seuls 5 toxicomanes ont demandé à quitter l'île après avoir détruit du matériel car ils n'avaient pas réussi à supporter l'absence de drogue, abandonnant ainsi leur dernière chance de reprendre une vie normale" ajoute le Dr Trac. Vuong Thanh Binh, 31 ans, se félicite lui aussi de cette cure et insiste pour "remercier les autorités de m'avoir permis de profiter de cet endroit isolé pour échapper à la drogue".

Accueilli au Centre depuis 7 mois, il avoue s'inquiéter néanmoins de "retrouver un environnement dangereux" lorsqu'il regagnera le continent. "C'est en effet le grand danger auquel tous ces jeunes devront faire face. Nous n'avons pas les moyens de continuer à les soutenir psychologiquement à leur retour dans leurs foyers et dans cette région où un gramme d'héroine coûte moins d'un dollar, ils seront confrontés à nouveau à la tentation", conlut le Dr Trac.

Agence France Presse, le 16 Septembre 2000.