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Le cardinal vietnamien Nguyên Van Thuân est décédé.

ROME - Il était issu d'une famille qui pouvait témoigner, par sa propre histoire, du douloureux chemin parcouru par Eglise vietnamienne, déjà bien avant le communisme. Mais celui-ci n'allait pas l'épargner, au contraire. Jamais, pourtant, François-Xavier Nguyên Van Thuân, décédé à 74 ans, des suites d'un cancer, lundi à Rome, ne s'est départi de sa douceur et de ce sourire humble qui cachaient une volonté de fer. Devenu Romain après avoir été contraint à l'exil, il avait une place un peu particulière parmi les cardinaux de la curie, après ses treize années de détention dans les camps de rééducation et les prisons du Vietnam.

Il est vrai que son histoire est peu commune. Les deux gardiens désarmés par sa gentillesse, puis convertis avant de se voir enseigner le français et l'anglais, l'Evangile reconstitué phrase par phrase sur de petits bouts de papier de récupération, la messe dite en cachette avec un peu de vin dans la paume de la main et un peu de pain tiré d'un paquet de cigarettes, l'adoration nocturne devant l'eucharistie de la petite communauté chrétienne reconstituée dans un camp, la petite croix de bois cachée dans le savon, la chaîne qui la soutient faite avec du fil électrique de sa cellule, le poisson du repas enveloppé dans deux pages de... l'Osservatore Romano : mille fois, Mgr Nguyên Van Thuân a dû raconter l'histoire de ces années où il a toujours opposé avec succès l'amour à la haine. Mais jamais il n'a eu un mot de rancune ou de vengeance. C'est ce qui avait d'ailleurs convaincu ses gardiens : « Comment pouvez-vous dire que vous nous aimez, après tout ce que nous vous faisons endurer ? »

Treize années de détention,dont neuf à l'isolement

Né à Hué le 17 avril 1928, François-Xavier Nguyên Van Thuân est ordonné prêtre le 11 juin 1953. Envoyé à Rome pour suivre des études de droit canonique, il revient au Vietnam comme professeur et directeur de séminaire. Vicaire général puis évêque de Nha-Trang le 24 juin 1967, son destin va basculer lorsque, le 24 avril 1975, il est nommé coadjuteur de Saigon, aujourd'hui Ho Chi Minh-ville, quatre jours avant l'évacuation dramatique des derniers Américains de la ville par hélicoptères. Empêché de remplir ses nouvelles fonctions, il est arrêté le 15 août, solennité de l'Assomption.

S'ensuivront treize années de détention, dont neuf à l'isolement, avec une libération en décembre 1988 sans que jamais Mgr Nguyên Van Thuân ait été condamné ni jugé, ni même officiellement poursuivi. Déclaré indésirable par le gouvernement vietnamien, il devient en 1992 membre de la Commission catholique internationale pour les migrations, à Genève, avant d'être appelé aux côtés du cardinal Roger Etchegaray en 1994 comme vice-président du Conseil pontifical Justice et Paix. Il lui succède en 1998. Jean-Paul II le crée cardinal au consistoire du 21 février 2001.

Très attaché à la doctrine sociale de l'Eglise

Quelques mois auparavant, il lui avait demandé de prêcher les « exercices spirituels » de la Maison pontificale au début du carême 2000. Car c'était là la dimension essentielle de sa personnalité : le maître spirituel (lire l'encadré). Mgr Nguyên Van Thuân choisit alors de parler de l'espérance. Dans son remerciement, le Pape souligna que ce prédicateur, « témoin lui-même de la croix dans les longues années d'incarcération au Vietnam, nous a souvent raconté les faits et épisodes de sa difficile captivité, nous renforçant ainsi dans la consolante certitude que, quand tout s'écroule autour de nous et peut-être aussi en nous, le Christ reste notre indéfectible soutien ». Le président du Conseil pontifical Justice et Paix, très attaché à la doctrine sociale de l'Eglise, aura aussi beaucoup travaillé à sa diffusion, se rendant en Asie comme en Afrique pour ce qu'il appelait en 1999, dans un entretien à La Croix, « le jubilé des pauvres ».

Il expliqua un jour aussi à Bill Gates sa conception de la mondialisation qui a besoin de règles pour qu' « existe aussi une globalisation du bas, celle des droits de la personne, des droits sociaux et culturels ». En somme, disait-il au patron de Microsoft, « nous devons purifier la globalisation de ses erreurs sans la craindre ». Un thème qu'il développa encore en juillet 2001 à la veille du tragique sommet du G 8 à Gênes : « Bien commun, justice sociale, solidarité, subjectivité des pauvres, destination universelle des biens, les mots entendus à Gênes _ lors de l'adoption par les jeunes catholiques d'un « Manifeste pour une mondialisation contrôlée » _ figurent parmi les repères de l'enseignement social de l'Eglise ».

Par Yves Pitette - La Croix - 18 Septembre 2002.