~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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La colère des minorités au Viêt Nam

Les ethnies jarai, ede et ba-na réclament la restitution de leurs terres.

Des milliers d'hommes et de femmes qui manifestent, parfois violemment, sur les routes et dans les villes du centre du Viêt-nam: on n'avait pas vu ça depuis des années. Le parc national de Yok Don a été fermé au début de la semaine, l'armée a été placée en état d'alerte avancée et les autorités ont procédé à de nombreuses interpellations, selon des touristes étrangers qui ont visité la région.

Depuis vendredi, la situation est très tendue dans la région des hauts plateaux, et en particulier dans les provinces du Dac Lac et du Gia Lai qui assurent l'essentiel de la production de café du pays. Des milliers de personnes appartenant aux minorités ethniques jarai, ede et ba-na protestent contre la construction d'un nouvel axe routier et pour la défense de leurs droits religieux (ils sont généralement chrétiens dans un pays majoritairement bouddhiste). Mais l'essentiel de leurs revendications est ailleurs: les manifestants réclament la restitution de leurs terres ancestrales des hauts plateaux. Les ethnies jarai, ede et ba-na, qui représentent 600000 personnes sur les 77 millions d'habitants du pays, estiment avoir été spoliées par l'Etat au profit de planteurs de café, des «colons» appartenant à l'ethnie majoritaire viêt (ou kinh).

Cultures commerciales. Les habitants de cette région ont toujours été en rébellion, larvée ou ouverte, face à l'autorité centrale, qu'elle soit coloniale ou communiste, mais la situation a empiré depuis quelque temps. Comme l'explique Philippe Langlet, un historien spécialiste du Viêt-nam, «depuis 1975, c'est cette région des hauts plateaux qui a vu les plus grandes colonisations vietnamiennes. Le gouvernement a fait de gros efforts pour y développer les cultures commerciales, en particulier le café qui marche de façon fantastique». Ces plantations existaient du temps de la colonisation, mais depuis quelques années, le Viêt-nam est devenu le deuxième exportateur de café dans le monde. Seul problème: ce succès économique a été obtenu au prix de déplacements de populations plus ou moins autoritaires. «D'un côté, la terre est devenue propriété nationale. De l'autre, le gouvernement a concédé des surfaces à des familles. Mais l'Etat se donne le droit de modifier le cadastre en conflit parfois avec le droit coutumier des ethnies», précise Philippe Langlet.

Equilibre perturbé. De fait, le gouvernement a déplacé les minorités des hauts plateaux vers les vallées pour éviter qu'elles brûlent les forêts. Tout en encourageant les Kinhs venus des plaines côtières à s'installer dans les plantations caféières de ces mêmes hauts plateaux, modifiant ainsi un équilibre ethnique déjà perturbé par les autorités dans les années 80. Normalement, le «Conseil des ethnies peu nombreuses» (ou minorités) est consulté. De fait, cela ne suffit pas à éviter les conflits. Il y a plus de dix ans déjà, la construction du barrage de Hoa Binh et l'inondation du territoire de la minorité muong avaient provoqué de très fortes tensions.

Par Nathalie Levisalles - Libération, le 8 Février 2001.


Le Vietnam déploie des troupes et interdit l'accès des Hauts-Plateaux

HANOI - Plusieurs personnes ont été blessées et 20 arrestations ont été effectuées lors des manifestations des minorités ethniques dans les Hauts-plateaux du centre du Vietnam où les autorités ont déployé des forces de sécurité et donné des instructions interdisant l'accès de la région aux touristes étrangers et aux non-résidents. Des "provocateurs ont détruit des bâtiments publics, y compris une école" mardi à Buon Me Thuot, capitale de la province de Dac Lac, et "20 d'entre eux ont été arrêtés le jour même", a précisé jeudi soir à la presse le porte-parole du ministère, Mme Phan Thuy Thanh. Ces incidents ont fait plusieurs blessés, y compris parmi les forces de sécurité, et les personnes arrêtées étaient toujours détenues jeudi, a ajouté Mme Thanh.

Les personnes arrêtées "ont résisté aux autorités et aux services de sécurité" qui ont compté plusieurs blessés, selon le porte-parole qui a affirmé que "la situation est redevenue normale". Mais selon des habitants de la région, les autorités vietnamiennes ont déployé des forces de sécurité et donné des instructions interdisant aux touristes étrangers et aux non-résidents l'accès aux Hauts-plateaux. Les écoles, dans les régions de minorités ethniques au Vietnam, sont souvent considérées en raison de leur enseignement en vietnamien comme un symbole de "colonisation" par l'ethnie majoritaire ou d'assimilation forcée. Des milliers de membres des ethnies minoritaires ont manifesté au cours des derniers jours dans les Hauts-plateaux pour réclamer la restitution de leurs terres ancestrales. "De nombreux policiers anti-émeute ont été déployés ces derniers jours dans notre localité et des hélicoptères survolent la région", a indiqué à l'AFP un habitant de Pleiku, capitale de la province de Gia Lai. "Des soldats des unités militaires locales ont été également dépêchés dans les points chauds de notre province mais la situation est revenue à la normale jeudi", a-t-il ajouté.

Des militaires ont également été envoyés jeudi dans le parc national de Yok Don, fermé depuis le début de la semaine et où des manifestations s'étaient poursuivies mercredi, a indiqué un autre habitant de la région. Une hôtelière de Buon Mue Thuot, la capitale de la province de Dac Lac, a également précisé à l'AFP que son établissement "n'est plus autorisé à accueillir des étrangers jusqu'au 15 février". "La situation est calme en ville, mais des problèmes semblent persister" en dehors, a-t-elle précisé. Un autre habitant de la province a précisé que cette interdiction concerne également les Vietnamiens ne résidant pas dans la région. Les membres des minorités ethniques des Hauts-plateaux estiment que leurs terres ancestrales, fortement déboisées, ont été confisquées par les membres de l'ethnie vietnamienne majoritaire dans le pays (kinh, ou viet) qui y ont installé des plantations de café, dont le Vietnam est devenu le deuxième exportateur mondial en quelques années.

"Pour le moment nous ne pouvons pas organiser de visites dans les Hauts-plateaux, mais je ne peux pas vous donner la raison", a indiqué la responsable d'une agence de tourisme de Ho Chi Minh-Ville qui organise habituellement des séjours dans cette région. "Nous n'y sommes pas autorisés", a-t-elle ajouté. Cette responsable a précisé que sa société a été avertie par les autorités que cette interdiction pourrait durer au moins un mois. Le principal parc national des Hauts-plateaux, une des principales attractions touristiques du centre du Vietnam, avait été fermé en début de semaine pour une durée indéterminée, selon ses responsables. Le parc abrite notamment des membres des groupes minoritaires Ede, Jarai, Khmer, Mnong, Lao, Srepok et Tai et des manifestations s'y étaient poursuivies mercredi, selon des habitants de la région.

De son côté, la Croix rouge vietnamienne a annoncé jeudi qu'elle a décidé d'accorder une aide de 100 millions de dongs (près de 7.000 dollars) aux familles des ethnies minoritaires des Hauts-plateaux. La Croix rouge a précisé que cette somme est destinée à aider les familles des minoritées ethniques "ayant de nombreuses difficultés". Région de forêts, les Hauts-plateaux, frontaliers du Laos et du Cambodge, ont beaucoup souffert des bombardements américains de la guerre du Vietnam, puis des déforestrations sauvages, qui ont fait reculer dramatiquement la forêt, terrain de chasse et de cueillette des minorités, par ailleurs traditionnellement rebelles au pouvoir central, quel qu'il soit.

Agence France Presse, le 8 Février 2001.