Hanoï rouvre le dialogue avec les dissidents bouddhistes
BANGKOK - Hanoï a surpris son monde en reprenant le dialogue avec l'Eglise dissidente bouddhiste qui subit, depuis plus de vingt ans, l'ostracisme du régime communiste. Le premier ministre vietnamien, Phan Van Khai, s'est entretenu pendant quarante-cinq minutes avec le patriarche de l'Eglise bouddhique unifiée (EBU), Thich Huyen Quang, assigné à résidence depuis vingt et un ans. bonzes avaient rejoint le Front national de libération du sud du Vietnam.
En
1981,
soit
six
ans
après
leur
victoire
et
cinq
ans
après
la
réunification
du
Vietnam,
Hanoï
avait
interdit
l'EBU
et
l'avait
remplacée
par
un
organe
officiel,
l'Eglise
bouddhique
du
Vietnam
(EBV),
laquelle
dépend
du
Front
de
la patrie, organe chargé par le PC de la gestion, entre autres, des religions. En dépit d'une sévère répression, l'EBU n'en a pas moins poursuivi sa lutte pour sa
reconnaissance, son indépendance et la liberté religieuse.
Amené du Quang Ngai, une province du centre où il est assigné à résidence, le patriarche de l'EBU, âgé de 86 ans, a été opéré à Hanoï d'une tumeur au visage. Le
12 mars, deux diplomates de l'Union européenne, puis un diplomate américain, ont été autorisés à lui rendre visite. Le lendemain, un membre de l'entourage du
patriarche, le bonze Tue Sy, s'est entretenu pendant deux heures avec des diplomates européens au siège de la délégation de la Commission européenne à Hanoï. Une
seconde délégation européenne s'est rendue, par la suite, au chevet de Thich Huyen Quang. Le 4 avril enfin, soit quarante-huit heures après l'entrevue entre le premier
ministre et le patriarche, l'ambassadeur américain à Hanoï a été autorisé à rencontrer ce dernier dans une pagode.
"Premier pas"
La suite est également surprenante. Sur le chemin du Quang Ngai, le vénérable Huyen Quang a été autorisé à s'arrêter à Hué, haut lieu de la dissidence bouddhiste, où il
a été accueilli non seulement par ses fidèles mais par des dignitaires de l'Eglise officielle. Son séjour a été limité à quarante-huit heures, mais il a pu se rendre dans les
principales pagodes de la dissidence bouddhiste et la moitié des bonzes qui l'ont raccompagné au Quang Ngai par la route appartenaient à l'Eglise officielle.
Sur le fond, la rencontre entre le premier ministre et Thich Huyen Quang a été jugée comme "un important premier pas"par Vo Van Ai, porte-parole à Paris de
l'EBV. "Le fait qu'un premier ministre discute avec un prisonnier de conscience qui vient de passer vingt et un ans en détention et qui est toujours assigné à
résidence est un événement significatif", a-t-il expliqué. M. Ai, qui s'est entretenu avec le patriarche par téléphone, a ajouté que M. Khai, interrogé sur une
reconnaissance de l'Eglise dissidente par l'Etat, aurait répondu : "Nous avons déjà l'Eglise bouddhiste du Vietnam, c'est suffisant !".
S'il n'y a pas eu d'engagement des autorités au cours de ce premier contact public, M. Khai a concédé que de "nombreuses erreurs" ont été "commises" et a, selon
Thich Huyen Quang, demandé au patriarche d'être "plein de compassion et indulgent". Le premier ministre a même mis sur le compte d'"une décision irrationnelle
prise au niveau local" la "détention administrative" de deux ans infligée, le 1er juin 2001, à Thich Quang Do, numéro deux de l'EBU, qui reste détenu
incommunicado dans un monastère de Ho Chi Minh-Ville. Le sort qui sera réservé à ce bonze âgé de 74 ans, le 1er juin, devrait donc, selon M. Ai, permettre "de
voir si la rencontre entre Thich Huyen Quang et Phan Van Khai est un tournant ou un simple geste cosmétique".
Hanoï fait face à de fortes pressions des Etats-Unis et de l'Union européenne en faveur d'un renforcement des libertés religieuses. L'EBU n'a jamais accepté de passer
sous le giron d'une Eglise officielle dont l'autorité et la popularité semblent limitées. Les dissidents bouddhistes estiment aussi que, "si les autorités veulent lutter
contre les "maux sociaux", il paraît nécessaire qu'elles composent avec l'EBU". Reste à voir si le PC vietnamien partage de telles conclusions - ce qui n'est pas
sûr - et à quelles concessions il est prêt pour tempérer une crise entrée dans sa troisième décennie.
Par Jean Claude Pomonti - Le Monde - 19 Avril 2003.
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