Nguyen Van Thieu
Président de la République du Vietnam (Sud) de 1965 à 1975, le général
Nguyen Van Thieu est mort à Boston (Etats-Unis), samedi 29 septembre, à
l'âge de soixante-dix-huit ans.
En 1955, au lendemain de Dien Bien Phu et après le retrait français
d'Indochine, les Américains choisissent, pour assurer la relève à Saïgon, un
ancien mandarin catholique exilé chez eux, Ngo Dinh Diem. Quand cette
expérience de régime civil dans le Sud sombre, avec le renversement et
l'assassinat de Diem en 1963, les généraux se précipitent dans la brèche.
Celui qui finit par l'emporter n'est sûrement pas celui que l'on attend :
personne n'a entendu parler de Nguyen Van Thieu, né le 5 avril 1923 dans
le sud du pays, général de division effacé et circonspect, sorti d'une
académie militaire locale, qui est nommé chef de l'Etat en 1965. Mais c'est
encore le flamboyant Nguyen Cao Ky, premier ministre et vice-maréchal de
l'air, qui gouverne sous tutelle américaine pendant deux ans. En 1967,
toutefois, Thieu est élu président et le sera de nouveau en 1971 au cours
de scrutins qui n'ont jamais fait figure de modèles de démocratie.
Habile manœuvrier, retors à ses heures, intelligent, brutal quand il le faut,
Thieu parvient à faire son chemin avec une ambassade américaine
omnipotente mais qui ne sait à quel général sud-vietnamien se vouer. Il
n'est pas seigneur de guerre, comme le général
Do Cao Tri, tué au cours d'un mystérieux
accident d'hélicoptère. Mais c'est un
calculateur, un "homme sans visage", disent
ses adversaires. Il a épousé le catholicisme en
se mariant et a troqué l'uniforme contre le complet-veston en devenant
président. Pour le reste, il sait tenir à distance ses adversaires et laisser
les Américains faire leur guerre. Tout en comptant des unités et des
officiers d'élite, sa propre armée s'accommode de la corruption du pouvoir
et du manque d'enthousiasme d'engagés pris entre deux feux.
La guerre étant devenue très impopulaire aux Etats-Unis, Richard Nixon est
contraint de retirer progressivement le demi-million de GI's engagés. La
"vietnamisation" s'accompagne de négociations avec le Nord à Paris. Thieu se
montre intraitable sur un point : il exige le repli des troupes régulières
nord-vietnamiennes au nord du 17e parallèle. Quand Henry Kissinger passe outre
et signe un cessez-le-feu avec Le Duc Tho en janvier 1973, Thieu dénonce cet
accord comme "l'équivalent d'une capitulation". Mais il n'a pas les moyens de
s'y opposer : Kissinger s'intéresse d'abord à la Chine, Nixon s'est noyé dans le
scandale du Watergate et le Congrès s'apprête à refuser à son successeur, Gerald
Ford, des crédits supplémentaires pour Saïgon.
vingt six ans d'exil
Après le retrait américain de 1973, Thieu prend la guerre en main et, deux années
plus tard, il commet, selon les Nord-Vietnamiens, une"erreur grave et
stratégique", en ordonnant le repli de ses troupes des hauts-plateaux et du
Vietnam central après la chute, le 11 mars 1975, de la ville de Ban Me Thuot entre
les mains des communistes. La retraite provoque une panique généralisée. Comme
Hanoï refuse toute négociation tant qu'il sera en place, Thieu est contraint à la
démission le 21 avril. Quatre jours plus tard, il s'envole discrètement à destination
de Taïwan. Saïgon se rend le 30 avril.
Exilé pendant de longues années à Londres, Nguyen Van Thieu avait fini par
s'installer à Boston pour se rapprocher des siens, qui avaient choisi le Nouveau
Continent. En vingt-six ans d'exil, il ne s'est guère manifesté et, surtout, il n'a pas
cherché à donner sa version de l'histoire."Les gens le traitaient de marionnette,
mais, si ce fut le cas, il tirait lui-même ses propres ficelles", a estimé l'historien
américain Stanley Karnow. On ne saura probablement jamais comment.
Par Jean-Claude Pomonti - Le Monde - le 2 Octobre 2001.
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