~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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Paix au Viêt Nam

Nguyen Huy Thiep est le représentant d'une nouvelle génération d'écrivains qui veulent se distinguer du réalisme socialiste.

Nguyen Huy Thiep est considéré comme le plus grand écrivain contemporain du Vietnam. Jeune homme à la fin de la guerre (il avait 25 ans en 1975), il a vécu la période de la reconstruction avec ses dérives totalitaires et ses parenthèses de libéralisation.

Son oeuvre, essentiellement composée de nouvelles, publiées dans des revues en a souvent pâti. En 1987, au lendemain du 6e Congrès du Parti communiste vietnamien, il se fait connaître en publiant Un général à la retraite, histoire d'un général de la glorieuse armée qui de retour chez son fils découvre une famille (le fils est ingénieur, la bru médecin) obsédée par l'appât du gain. Le général ne supportera pas le choc et retournera au front où il sera tué. Le texte fait scandale au plus haut niveau de l'Etat et si Nguyen Huy Thiep n'est pas inquiété directement, le rédacteur en chef de la revue Van Nghe qui commence à publier régulièrement des nouvelles de l'auteur est démis de ses fonctions en 1988 et l'année suivante, c'est le président de la commission des arts et de la culture du PCV qui est écarté pour avoir toléré la diffusion d'écrits démobilisateurs.

Les traductions des écrits de Nguyen Huy Thiep sont publiées depuis 1990 par les Editions de l'Aube. Le dernier recueil, l'Or et le Feu, titre de la première nouvelle du livre rassemble six nouvelles écrites entre 1988 et 1999 (Nguyen Huy Thiep reproche d'ailleurs ce désordre à son éditeur français). L'auteur, historien de formation, revisite l'histoire du pays en butte à une guerre civile au XVIIIe siècle. L'Or et le Feu raconte l'épopée d'un chercheur d'or aventurier français qui s'est mis au service du roi Gia Long. L'auteur introduit la figure d'un roi qui unifia le pays en 1802 et, déjà, s'attache des conseillers étrangers. Il a une ambition pour le pays qu'il vient de conquérir : " La question est de se hausser au niveau d'un pays puissant.

Pour ce faire, il faut avoir le courage de supporter les frottements et les torsions qu'entraînent les relations avec la grande communauté des hommes ", fait dire l'auteur à un des personnages. Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants étant évidemment exclue, Nguyen Huy Thiep s'autorise via la fiction historique une opinion très contemporaine. La nouvelle Gens d'autrefois écrite en 2001 se déroule dans les années soixante-dix. Elle se réfère à une période de la vie de l'auteur qui a enseigné dans un village éloigné du nord du pays où vivent des minorités, thaï notamment. Un professeur donc, raconte ses deux années à l'école du village où exerce également un dénommé Doanh qui vilipende l'apprentissage de la lecture et de la culture à une masse de paysans illettrés. " Ce qu'ils apprennent ne sert à rien. L'instruction est dangereuse car elle donne l'illusion (...). " Le professeur, qui croit à son travail, quittera un jour le village, se bâtira une carrière d'écrivain à l'étranger. Il retourne un jour dans le village où peu de choses finalement ont changé.

L'intellectuel Nguyen Huy Thiep qui s'est battu par sa prose (et son théâtre) pour la liberté d'expression ne peut évidemment cautionner un tel discours. Pourtant, lors d'un récent passage à Paris à la librairie Phénix où il rencontra ses lecteurs, Nguyen Huy Thiep eut des propos étonnants qui d'ailleurs ont fait débat. Lui, qui dit écrire de façon authentique et sincère parce que ce qu'il voit dans la société lui fend le cour, répond à une question sur la liberté d'expression au Vietnam que l'on ne peut s'intéresser à la liberté que quand la société a atteint un certain stade de développement : " Le peuple pense plus à manger et se vêtir que se poser des questions sur la liberté. " Faut-il alors rejeter la fiction du personnage Doanh ? Et qu'est exactement l'amour que porte Nguyen Huy Thiep à la campagne vietnamienne et ses paysans illettrés ? Où situer l'auteur qui se démarque de la seule école littéraire actuellement vivante au Vietnam " celle du réalisme socialiste " et qui représente un espoir pour la jeune génération ? L'ouvre écrite de main de maître est ambitieuse. L'écriture, fine et dépouillée, cherche les pépites de l'âme d'un peuple enfouie dans des coques solidifiées par une histoire dramatique.

Jacques Moran - L'Humanité, le 18 avril 2002