Hanoi et Washington multiplient les symboles mais des blocages demeurent
Hanoi et Washington n'ont pas ménagé leurs efforts ces dernières semaines pour marquer une ère nouvelle dans leurs relations, en particulier sur le plan militaire, mais les symboles n'ont pas encore suffi à faire sauter tous les blocages idéologiques et stratégiques.
Après la visite à Washington du chef des armées vietnamiennes la semaine passée, un navire de guerre battant pavillon américain, la frégate Vandegrift, a mouillé dans le port de l'ex-Saïgon, rebaptisée Ho Chi Minh-Ville.
Au regard des crispations des "durs" des deux camps, les conservateurs du Parti communiste vietnamien (PCV) et les anticommunistes convaincus du Congrès américain, ces événements sont décisifs.
"Les relations d'armée à armée étaient celles qui semblaient avancer le plus lentement mais (...) les Etats-Unis et le Vietnam peuvent désormais jouir de relations pleines et normalisées", estime Adam Sitkoff, à la Chambre de commerce américaine à Hanoi.
Beaucoup d'analystes soulignent le pragmatisme de Hanoi et sa reconnaissance du fait que les Etats-Unis sont un interlocuteur indispensable.
"Le commandement américain dans le Pacifique classe les pays et leur degré de coopération en fonction des intérêts de la défense et de la sécurité américaines", explique Carl Thayer, un expert de l'Australian Defence Force Academy.
"Ce bateau (Vandegrift) montre que le Vietnam veut progresser dans l'échelle de son engagement", ajoute-t-il.
Mais il est trop tôt pour parler d'amitié sans nuage.
"Il reste encore beaucoup de choses à faire", estime le général Trinh Dinh Thang, de l'Association des anciens combattants du Vietnam. "Il faut que les Etats-Unis résolvent les problèmes hérités de la guerre et les assument vis-à-vis de la partie vietnamienne".
Certains dossiers ont progressé, notamment la recherche des soldats américains disparus pendant la guerre (MIA).
D'autres piétinent, comme le contentieux sur l'agent orange, le défoliant utilisé par les Etats-Unis pendant le conflit, aujourd'hui encore responsable de problèmes de santé publique.
Sur le plan stratégique, Hanoi garde un oeil sur son puissant voisin chinois. Pékin aussi soigne ses relations avec les Etats-Unis, mais pourrait se heurter d'un rapprochement Hanoi-Washington trop ostentatoire.
Mercredi, la presse vietnamienne n'écrivait pas une ligne sur l'arrivée de la frégate Vandegrift.
Quant aux Etats-Unis, ils ont sérieusement renforcé leur présence en Asie depuis les attentats du 11 septembre 2001 et sont demandeurs de coopération antiterroriste.
Sans beaucoup de réussite pour le moment, selon un diplomate occidental. "D'abord parce que le Vietnam ne ressent pas la menace terroriste de façon aussi forte que d'autres pays de la région, mais aussi parce qu'il veut gérer ses affaires à sa manière", estime-t-il.
En février 2002, les Etats-Unis avaient souhaité louer la base militaire de Cam Ranh (sud) qu'ils avaient créée pendant la guerre et que Moscou avait utilisée entre 1979 et 2002.
"Nous ne louerons jamais la base à nouveau, ni à court terme, ni à long terme (...) car elle est d'une importance majeure pour la défense nationale", avait répondu le ministre vietnamien de la Défense.
Mercredi, l'ambassadeur américain au Vietnam a exprimé sa satisfaction, sans triomphalisme. "A l'avenir, nous verrons avec le gouvernement vietnamien vers où nous nous dirigeons (et) quelles sont les étapes suivantes", a indiqué Raymond Burghardt.
Par Didier Lauras - Agence France Presse - 19 Novembre 2003.
Un navire américain entre dans l'ex-Saïgon et emporte un tabou trentenaire
Un immense tabou est tombé mercredi avec l'arrivée dans le port de Ho Chi Minh-Ville, l'ex-Saïgon (sud), de la frégate américaine USS Vandegrift, dont les marins vont pouvoir arpenter une ville délaissée à la hâte par leurs aînés, il y a 28 ans.
Le navire de guerre, dont le port d'attache est Yokosuka (Japon), a remonté la rivière Saïgon dans la matinée avant d'entrer dans la bouillonnante capitale économique du sud sous un soleil de plomb, et d'être accueilli par un parterre de responsables américains et vietnamiens.
Les drapeaux des deux pays flottaient dans la brise de Saïgon. Et un sous-officier cachait mal sa surprise, en recevant un bouquet de fleurs des mains d'une jeune Vietnamienne vêtue du traditionnel Ao Dai. Manifestement, une page venait de se tourner.
Le dernier navire battant pavillon américain avait quitté Saigon en 1973.
Mais ce n'est que deux ans plus tard, le 30 avril 1975, que les derniers GI avaient définitivement évacué par hélicoptère le toit de l'ambassade américaine, dans ce qui était alors la capitale du sud-Vietnam, envahie par les forces communistes du Nord.
Plus de 58.000 Américains et quelque 3 millions de Vietnamiens ont péri dans les combats d'un conflit de près de trois décennies.
Cet accostage éminemment symbolique intervenait après la visite à Washington il y a une semaine du ministre vietnamien de la Défense, Pham Van Tra, elle aussi la première du genre depuis la guerre.
Les deux anciens ennemis n'avaient rétabli leurs relations diplomatiques qu'en 1995, un an après la levée de l'embargo américain sur le Vietnam. Ils ont signé en 2000 un très important accord commercial bilatéral qui a permis à leurs relations commerciales d'exploser.
Désormais, Hanoi et Washington passent au stade militaire, perspective rigoureusement impensable il y a quelques années et indicative d'un pragmatisme nouveau de part et d'autres.
"Nous sommes très honorés d'accepter cette invitation, de la part de la marine des Etats-Unis et du gouvernement américain", a solennellement déclaré aux journalistes le commandant Richard Rogers, capitaine du navire de 4.100 tonnes.
Les quelque 200 marines de l'USS Vandegrift, qui appartient à la VIIe flotte, devaient débarquer incessamment dans les rues de Saïgon.
Pour y trouver des copies des briquets "zippos" abandonnés par leurs aînés, un immense Apocalypse Now Bar et de nombeux débits boissons aux hôtesses plus accortes les unes que les autres.
"C'était intéressant ce matin quand nous avons sonné le réveil. La plupart des gens étaient déjà debouts parce qu'ils voulaient voir ce qui se passait. Nous avons eu beaucoup d'excitation à bord", explique le commandant Rogers.
L'officier a semblé convaincu de la bonne tenue de ses troupes, "de grands ambassadeurs des Etats-Unis" qui selon lui connaissent le règlement.
Quant à savoir si lui-même entendait profiter des plaisirs de la ville, il a répondu: "et bien, ma femme est ici, donc je devrais probablement aller la voir à son hôtel".
Les Saigonnais étaient nombreux à se frotter les mains par avance de ce déferlement d'uniformes et de devises.
"Les gens sont heureux de les accueillir, parce que partout où vont les Américains, ils apportent des perspectives de développement économique et à plus court-terme de l'argent liquide", résumait Nguyen Hoang, 33 ans, chauffeur de taxi.
Par Ben Rowse - Agence France Presse - 19 Novembre 2003.
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