Dans l'ex-Indochine, la francophonie peine faute de stratégie politique
Un demi-siècle après la fin de la présence française en Indochine, la langue française connaît de sérieuses difficultés au Laos, Cambodge et Vietnam où elle souffre, selon l'Agence intergouvernementale de la francophonie (AIF), d'une absence de volonté politique des gouvernements.
Quelque 500.000 Cambodgiens parlent un peu ou très bien le français, soit 3% de la population. Ils sont 300.000 au Laos (5%) et 500.000 au Vietnam (0,6%).
Mais aucun des trois Etats n'a de stratégie claire.
"Le problème auquel l'enseignement du français est confronté est l'absence totale de politique d'enseignement des langues étrangères de la part des gouvernements de ces trois pays", résume Stéphan Plumat, directeur Asie-Pacifique de l'AIF.
En juin dernier, le secrétaire général de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), Abdou Diouf, avait visité les trois pays. "Nous sommes à l'ère de la reconquête", avait-il déclaré, évoquant sa volonté d'asseoir le statut du français comme "seconde langue universelle".
Mais l'avenir de la langue est aujourd'hui incertain dans une région où ses acquis ne sortent guère du cadre des élites.
Au Cambodge, le français est bien représenté dans les instances politiques. Le nouveau roi, Norodom Sihamoni, ex-ambassadeur de son pays à l'UNESCO à Paris, en a une parfaite maîtrise comme son père Norodom Sihanouk, dont le cabinet était entièrement francophone.
Au Laos, le français est véhiculé par les intellectuels âgés ou les Laotiens qui ont des rapports professionnels ou familiaux avec la France. Les formulaires officiels sont bilingues lao-français dans la plupart des ministères, la poste et les compagnies publiques.
Au Vietnam enfin, où le français était aussi l'apanage de l'élite intellectuelle, la concurrence de l'anglais et des langues asiatiques est particulièrement dure.
Dans ces trois pays, l'intégration à l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) a signifié une promotion nécessaire de l'anglais, langue de travail. Mais le français entend se battre.
"Il est impératif que les (trois) gouvernements prennent enfin les mesures politiques pour assurer au français, à côté de l'anglais (...), la place qui lui revient au sein du système éducatif, et qu'ils doivent lui assurer parce qu'ils ont choisi d'appartenir à la Francophonie", résume Stéphan Plumat.
Agence France Presse - 24 Novembre 2004.
Au-delà des mythes, la langue française lutte pour sa survie au Vietnam
Loin des mythes qui présentent le Vietnam comme un grand pays francophone, la langue française se bat aujourd'hui pour sa survie dans cette ancienne colonie française, dont le développement passe par l'ouverture sur le marché mondial et sa première langue de travail, l'anglais.
Quand Hanoï a accueilli le sommet de la Francophonie en 1997, Paris ambitionnait de former 5% d'une classe d'âge de francophones.
Un but démesuré: "Ce n'était pas un objectif vietnamien. C'était un véritable excès d'ambition française qui n'a jamais été validé par Hanoï", relève un observateur.
Depuis, la stratégie de la Francophonie a été repensée.
"On est revenu de cette vision surannée. Nous voulons que le français s'impose comme deuxième langue vivante étrangère", explique Stéphan Plumat, directeur Asie-Pacifique de l'Agence intergouvernementale de la francophonie (AIF).
L'AIF estime à 500.000 le nombre de francophones dans ce pays de plus de 82 millions d'habitants. Soit 0,6% de la population. Aujourd'hui, ajoute-t-il, "le français est en lutte pour ne pas disparaître et rester une grande langue".
A l'époque de la colonisation, le français n'était répandu que dans les milieux intellectuels et bourgeois, auprès de l'élite mandarinale et administrative. En 1942, moins de 70.000 élèves avaient accès à l'enseignement en français.
"Ces lettrés n'ont jamais constitué qu'une frêle couche, qui a, certes, permis de mener à bien certains desseins, mais était trop mince pour supporter un projet linguistique de grande ampleur", souligne un diplomate français à Hanoï.
C'est sur cette base déjà fragile que s'est amorcé le déclin du français au moment de l'indépendance du pays. Dans le Nord, le régime communiste a interdit son enseignement. Dans le Sud, l'influence française s'est affaiblie face au modèle américain.
Après la fin de la guerre en 1975 et la victoire communiste, l'influence soviétique a donné du poids aux langues d'Europe de l'Est. Aujourd'hui, les premiers investisseurs parlent chinois, japonais ou coréen. Et l'anglais est la langue incontournable de l'intégration internationale.
Quelques sexagénaires nostalgiques cultivent encore un français magnifique et fustigent la progression de l'anglais. "L'influence des pays francophones est minime par rapport à celle des anglo-saxons", constate Dao The Tuan, 73 ans.
Ce militant de la langue française a fondé un département de recherche au sein de l'Institut national des sciences agricoles du Vietnam. "Nous sommes l'unique équipe de chercheurs du pays entièrement francophone. Et bien, nous n'avons plus aucun projet avec la France. L'avenir du département, on ne le voit pas", se lamente-t-il.
Pour cette génération et parfois pour leurs enfants, le français est porteur d'une certaine distinction. Mais la survie de la langue se jouera sur des enjeux concrets.
Plus de 17.000 étudiants vietnamiens fréquentent aujourd'hui 650 classes bilingues. Environ 31.000 Vietnamiens apprennent le français comme deuxième langue vivante dans le cadre d'une phase expérimentale menée entre 2001 et 2004. Et près de 3.000 Vietnamiens étudient en France, dont 600 avec une bourse du gouvernement français.
A l'heure de l'entrée prochaine du Vietnam dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'urgence est économique.
"Le défi que la Francophonie au Vietnam doit relever est celui de l'insertion dans le monde professionnel des jeunes francophones", ajoute le diplomate français.
Or, ajoute-t-il, "chaque année, des centaines de jeunes francophones se coupent peu à peu de la langue française en exerçant des emplois où seul le vietnamien, et parfois l'anglais, est en usage".
Agence France Presse - 24 Novembre 2004.
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