Vitesse de propagation alarmante du Sida au Cambodge, selon un chercheur
PHNOM PENH - Le Cambodge est de loin le pays
d'Asie le plus affecté par le VIH/SIDA, déplore un spécialiste
international, le médecin et chercheur français Jean-Yves
Follézou, en réclamant l'introduction massive et urgente de la
thérapeutique anti-rétrovirale.
"Le Cambodge est aujourd'hui le pays où l'infection du VIH est la
plus importante dans les pays d'Asie-Pacifique Ouest. En
matière de SIDA, il est malheureusement largement en tête",
constate-t-il dans un entretien publié samedi par le quotidien
francophone Cambodge-Soir.
"Il faut introduire massivement et urgemment la thérapeutique
anti-rétrovirale (TAR), pour diminuer la charge virale des individus
infectés, et par la même, celle du pays dans son ensemble",
plaide-t-il.
"Si l'on réduit l'infectivité individuelle, on réduit la charge virale
collective. C'est un aspect pragmatique, et un devoir moral",
souligne le chercheur.
"Le problème est que le coût de la TAR est beaucoup trop élevé
par rapport au budget de la santé au Cambodge, qui n'est que de
trois dollars par an et par habitant", reconnaît M. Follézou. Un
traitement tri-thérapie pour un individu revient jusqu'à 10 000
dollars par an.
Chercheur sur le SIDA depuis une quinzaine d'années, M.
Follézou, 52 ans, est professeur en hématologie et cancérologie
à la faculté de médecine de la Pitié-Salpêtrière à Paris et l'un des
coordinateurs du site Asie du Sud-Est de l'Agence Nationale de
Recherche sur le SIDA (ANRS).
En décembre 1999, les statistiques faisaient état de 170.000
infections du VIH au Cambodge et une incidence SIDA de 10.000
malades dans la tranche d'âge des 15-49 ans.
"D'ici deux ou trois ans, le pays comptera sans doute quelque
50.000 cas de SIDA déclarés", affirme le chercheur.
A titre de comparaison, au Vietnam il y aurait environ 100.000
séropositifs (officiellement quatre fois moins) et 3.700 malades du
SIDA alors que la population vietnamienne est nettement plus
nombreuse (près de 80 millions d'habitants contre 12 millions au
Cambodge).
Au Cambodge, la transmission du virus est sexuelle à 100%. Au
Vietnam, elle est sexuelle à 40%, les 60% restants étant une
contamination par injection de drogues intraveineuses.
"Sur les dix ans de l'épidémie dans ces pays, la vitesse de
propagation sexuelle est 34 fois plus élevée au Cambodge qu'au
Vietnam", précise le professeur Follézou.
Les chercheurs attribuent la diffusion du VIH au Cambodge à la
présence au début des années 1990 d'un fort contingent de l'ONU
(l'APRONUC: Autorité provisoire des Nations unies au
Cambodge).
L'APRONUC et ses 28.000 fonctionnaires, dont 22.000 soldats, a
attiré des milliers de prostituées étrangères, la plupart
thaïlandaises et vietnamiennes, au Cambodge.
"Le VIH que l'on trouve au Cambodge est d'ailleurs de sous-type
E, le même qu'en Thaïlande", relève le professeur Follézou.
Le médecin ajoute que les conditions de développement du VIH
ont été favorisées par "la forte tradition de prostitution" dans le
pays, mais également par les moyens limités de la politique de
prévention.
"Il faut notamment responsabiliser l'ONU, qui est responsable
directement de l'épidémie, et le Fonds de solidarité thérapeutique
international (FSTI) doit être également sensibilisé", tout comme
les firmes pharmaceutiques qui ont promis de réduire le coût des
médicaments, afin d'introduire "massivement et le plus vite
possible" les traitements appropriés au Cambodge, conclut le
chercheur.
Agence France Presse, le 4 Novembre 2000.
|